«Humanité et fermeté» : le plan de Bernard Cazeneuve sur les migrants
18 juin 2015Plus de 100 000 migrants sont arrivés sur les côtes méditerranéennes depuis le début de l'année. Aux yeux du gouvernement français, il s'agit une « crise humanitaire sans précédent dans l'histoire récente ». Pour y faire face, les ministres de l'Intérieur et du Logement ont présenté ce mercredi un plan d'accueil des migrants sur le territoire français.
Depuis le début du mois, le gouvernement français est critiqué sur sa gauche et par des associations de soutien aux migrants. En cause : les démantèlements de camps à Calais et dans le nord de Paris (sous le métro de La Chapelle, à l’Eglise Saint-Bernard et à la halle Pajol). Pour l’exécutif, c’était une exigence « d’humanité et de responsabilité ». Mais ces interventions ont été vivement dénoncées par une partie de la classe politique. Eric Coquerel, le coordinateur du parti de gauche, a ainsi estimé que « la politique d’immigration du gouvernement marque clairement une accélération par rapport à ce que faisait Sarkozy. C’est pire avec les socialistes ». Et des voix se sont aussi fait entendre dans le milieu associatif. Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) a jugé que « les frontières politiques entre les pratiques de la droite et celles du gouvernement » ont été « abolies ».
Attaqué en France, le gouvernement s’est aussi retrouvé sous le feu de critiques sur la scène internationale depuis le week-end dernier. En renvoyant en Italie des migrants interpellés à la frontière, Paris s’est attiré les foudres de Rome. Le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, a menacé les pays européens de mettre en place un « plan B » s’ils n’acceptaient pas la demande de la commission de mieux répartir les migrants sur le territoire européen. Et mardi, lors d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur, l’Italien Angelino Alfano a accusé la France d’organiser des « entraves à la libre circulation ».
Humanité et fermeté
C’est donc un gouvernement sous le feu des critiques qui a présenté son plan, ce mercredi. Un plan commandé la semaine dernière. Mais s’il a été élaboré rapidement, il ne l’a pas été dans la précipitation, assure l’exécutif. « Cela fait longtemps que nous réfléchissons à ces sujets », précise l’entourage du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Pas de précipitation et pas de reniement non plus : le gouvernement se défend de changer de cap. Ces mesures s’inscrivent dans la suite logique des mesures prises ces dernières semaines. Son action, dit-il, reste dictée par les mêmes maîtres mots : humanité et fermeté.
Pour satisfaire au premier point, l’exécutif annonce la création de 11 000 places supplémentaires dans les lieux d’hébergement des migrants. Il s’agit d’offrir des « conditions de vie décentes » aux demandeurs d’asile. Dans l’espoir d’éviter de nouveaux campements sauvages, 1 500 places dédiées aux migrants devraient donc être ouvertes dans des structures d’hébergement d’urgence d’ici la fin de l’année. Mais le gouvernement veut aussi s’attaquer au logement à plus long terme. Actuellement, seul un demandeur d’asile sur deux est hébergé par l’Etat.
« Nous ne répondons pas aux exigences européennes », reconnait-on au ministère de l’Intérieur. D’ici fin 2016, 4 000 places seront donc créées dans les centres d’accueil qui leur sont destinés. Des créations qui s’ajoutent aux 4 200 déjà prévues dans le projet de loi asile actuellement en débat au Parlement et que le gouvernement espère voir adopter d’ici la mi-juillet. Enfin, la moitié de ces 11 000 hébergements supplémentaires sera dédiée à ceux qui ont obtenu le statut de réfugiés : des structures où ils seront accompagnés pour s’insérer dans la société française sans qu’ils n’occupent de places prévues pour ceux qui déposent une demande.
Lutte contre l’immigration clandestine
La fermeté, elle, est aux yeux du gouvernement indispensable pour que l’accueil de ceux qui ont besoin de protection soit soutenable à long terme. Elle est donc synonyme de lutte contre l’immigration clandestine. Cela passe par le démantèlement des filières de passeurs, une tâche dans laquelle le gouvernement se targue de bons résultats : ils ont augmenté de 25 % entre 2012 et 2014.
Et ce travail continuera, assure le ministère de l’Intérieur. L’autre axe de cette politique est la reconduite à la frontière. Là aussi, on vante place Beauvau des résultats plus probants que « sous la majorité précédente » : 13% d’éloignements contraints de plus en 2014 qu’en 2012. Mais les résultats restent insuffisants aux yeux de l’équipe actuelle : le ministère de l’Intérieur estime que seuls 10 à 20 % des déboutés de la demande d’asile sont effectivement reconduits à la frontière.
« Il va falloir une mobilisation de nos forces, de nos préfets pour interpeller davantage, faire des procédures et placer ceux qui doivent l’être en rétention », a déclaré Bernard Cazeneuve. Le gouvernement veut aussi mettre en place une diplomatie plus offensive à l’égard des pays d’origine : certains tardent à délivrer les laissez-passer consulaires indispensables à toute expulsion. Enfin, le plan prévoit aussi la mise en place de dispositifs dédiés d’aide au retour. Le gouvernement français veut s’inspirer en cela de ce qui se fait notamment en Belgique : créer des structures d’accueil pour les futurs expulsés et les aider à construire un projet d’insertion dans leur pays d’origine.
70 millions d’euros par an
La mise en place de ce plan devrait coûter 70 millions d’euros par an. Une somme répartie entre les ministères de l’Intérieur et du Logement. Ces montants couvrent à la fois la création des 11 000 hébergements supplémentaires, mais aussi l’embauche d’agents pour traiter les demandes d’asile. La réforme de l’asile voulue par le gouvernement prévoit de passer ces délais de deux ans à neuf mois. Pour cela, 55 postes supplémentaires sont prévus dans le projet de loi actuellement en débat au parlement.
Mais d’autres ont encore été ajoutés dans le plan présenté ce mercredi: une à deux dizaines de plus. De nouvelles créations de postes aux vues de l’ampleur de la crise migratoire malgré le contexte budgétaire restreint. Mais l’exécutif espère aussi faire des économies avec ce plan. Réduire les temps d’étude des dossiers permettrait de réduire le temps passé par les demandeurs d’asile dans des structures financées par l’Etat. L’espoir de l’exécutif est donc que ce plan ne coûte rien aux contribuables. « S’il marche », précise-t-on néanmoins au ministère de l’Intérieur.
Du côté associatif, on demeure sceptique sur les ambitions de ce plan, et notamment sur le focus porté sur la lutte contre l’immigration clandestine. Pour Geneviève Jacques, présidente de la Cimade, il y a un « déni de réalité par rapport aux besoins de mobilité internationale ».