Quelque 300 migrants vivent dans des conditions extrêmement précaires sous la station La Chapelle du métro aérien, dans le nord de Paris. Certains ne sont là que depuis quelques jours. D’autres depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, mais n’ont pas pu être hébergés lors de la dernière opération de mise à l’abri, le 27 octobre. Les associations réclament des solutions d’hébergement pour ces personnes laissées sur le carreau.
Toutes les deux minutes, le passage du métro fait trembler le pont de ferraille au-dessus du camp et il faut alors élever la voix pour pouvoir continuer à s’entendre. Dans le nord de Paris, plus de 300 personnes vivent sous les poutrelles métalliques du pont Saint-Ange qui soutient le métro aérien, au niveau de la station de métro La Chapelle. Jonché d’ordures, le camp est composé de tentes mais aussi d’abris de fortune construits avec des palettes de bois, des cartons et du mobilier délabré, récupéré ici et là.
L’écrasante majorité des quelques 300 habitants du campement sont Afghans. Beaucoup connaissent la rue depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ils ont été contraints de rester sur ce morceau de trottoir, au milieu du boulevard de La Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris, faute de places d’hébergement prévues en nombre suffisant lors de l’évacuation du 27 octobre dernier. Ce jour-là, la préfecture de la région avait planifié la prise en charge d’environ 600 personnes. Mais, comme souvent, beaucoup plus d’exilés se sont présentés et environ 300 personnes n’ont pas pu obtenir d’hébergement. Elles se sont rapidement réinstallées sous le métro.
Dans un communiqué publié le jour de l’opération, la préfecture de Paris promettait de poursuivre sa mobilisation « dans les prochaines semaines pour permettre une prise en charge de ceux n’ayant pu bénéficier d’une orientation ». Mais les solutions se font toujours attendre.
Ahmad (le prénom a été changé) est en France depuis un mois. Il fait partie des personnes laissées sur le carreau après l’évacuation du 27 octobre. « On m’a dit qu’on devait m’appeler pour me donner un hébergement mais personne ne m’a encore contacté », raconte-t-il, lundi 14 novembre, à quelques pas de sa tente.
« Dès 6h, les personnes partent pour leurs démarches »
L’association Utopia 56, qui effectue des maraudes plusieurs fois par semaine dans le campement, s’agace de voir les opérations de mise à l’abri organisées par la préfecture de région presque toujours sous-dimensionnées. S’il est vrai que certains exilés vivant ailleurs se greffent souvent aux opérations, Utopia 56 déplore des méthodes de comptage des exilés inadaptées. « Les personnes de France Terre d’asile qui viennent évaluer le nombre de migrants sur les campements passent à des horaires où les exilés ne sont pas tous là. Et il n’y a pas de diversité d’horaires dans les passages donc ils ne peuvent pas compter toutes les personnes présentes. Or, dès 6h, les gens partent pour leurs démarches administratives », explique Océane Marache, coordinatrice de l’association à Paris.
C’est le cas de Zehrollah. Ce jeune Afghan au corps fluet est tombé d’un toit avant son départ d’Afghanistan et s’est gravement blessé au dos. Depuis, il souffre au point d’en perdre le sommeil. Son parcours d’exil ainsi que le froid de ce début de mois de novembre ne font qu’accentuer ses douleurs. « Quand il fait froid, je ne sens plus ma jambe droite », confie-t-il en montrant l’abri de carton dans lequel il passe ses nuits, avec quatre autres migrants.
Pour tenter de se faire soigner, il s’est rendu plusieurs fois dans une permanences d’accès aux soins de santé (PASS), l’un de ces centres de santé accessibles aux personnes sans-papiers. « Là-bas, ils ne distribuent que 40 tickets par jour et si tu n’as pas de ticket tu ne peux pas avoir de rendez-vous », explique le jeune homme, un anorak beige défraîchi sur le dos. Alors, dès l’aube, la queue est longue devant le centre de soins pour espérer être examiné.
Interrogée par InfoMigrants sur la manière dont sont comptabilisées les personnes à la rue, Hélène Soupios–David, directrice du plaidoyer à France Terre d’Asile, explique que les agents passent faire des décomptes dans les campements deux fois par semaine, entre 7 heures et 9 heures. « Quand les équipes passent dans les campements, on compte le nombre de personnes visibles, mais aussi les tentes et les couchages autres, y compris s’ils sont vides. À partir de cela, on établit une estimation basse et une estimation haute », explique la responsable, précisant que c’est la fourchette haute qui est communiquée à la préfecture avant une opération de mise à l’abri.
Selon elle, le problème du manque de places proposées lors de ces opérations vient principalement du fait que « les mises à l’abri sont prévues pour un seul site. Or le mot circule et il y a toujours des gens qui viennent d’autres sites et on se retrouve avec des personnes en plus ». « Il faudrait des mises à l’abri beaucoup plus régulières. Et pouvoir proposer des places d’hébergement au fur et à mesure que les personnes arrivent », préconise la responsable.
Premier accueil
Pour expliquer le nombre de migrants à la rue, Océane Marache pointe également du doigt l’absence de dispositif de premier accueil dans la capitale. En effet, sans structure désignée pour accueillir les primo-arrivants à Paris, c’est ce camp de La Chapelle qui tient cette fonction.
Hayat Ullah a débarqué à Paris il y a une semaine en train de Nancy. À son arrivée à la gare de l’Est, cet Afghan de 32 ans, qui porte un anorak noir sur son long qamis rouge bordeaux, a demandé aux passants où il devait se rendre. Tous lui ont indiqué le camp de La Chapelle.
Menacé de mort en Afghanistan par son beau-père, Hayat Ullah souhaite demande l’asile en France. En tant que demandeur, il devrait pouvoir être hébergé par l’état mais le jeune homme n’a pas encore réussi à obtenir un rendez-vous en structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada) pour débuter la procédure. Le numéro de l’Ofii par lequel se fait la prise de rendez-vous à Paris est constamment saturé.
Dans le nord-est de Paris, les migrants confrontés à un éternel retour à la rue
Hélène Soupios-David déplore un mécanisme d’accueil défaillant qui conduit de nombreuses personnes à vivre à la rue. « Normalement, le rôle des accueils de jour dans Paris est d’emmener les personnes vers des CAES [Centre d’accueil et d’évaluation des situations]. Donc les primo-arrivants, dans un schéma qui fonctionne, ne devrait pas à avoir à dormir dehors ».
Mais même pour les personnes qui ont déjà déposé leur dossier de demande d’asile, les places d’hébergement manquent et les demandeurs, parfois mineurs, doivent vivre à la rue. Fayçal, 12 ans, est arrivé à Paris le 16 octobre dernier avec son père, sa belle-mère et un cousin. Après sept ans passés en Suisse à espérer obtenir une protection, la famille afghane vient d’essuyer un refus des autorités helvétiques. Ils ont alors quitté le pays pour la France où ils ont déposé une demande d’asile.
« Les gens en ont marre d’être là »
Depuis, la famille vit dans deux tentes sous le pont du métro. La situation est particulièrement difficile à supporter pour le jeune Fayçal – aujourd’hui parfaitement francophone – qui vivait il y a quelques semaines encore une vie d’adolescent classique, rythmée par les journées au collège et les entraînements de football, dans son club de Lausanne.
Comme tout le monde sur le camp, la famille souffre du froid. Mais aussi d’un grand sentiment d’insécurité car la belle-mère de Fayçal (sa propre mère est décédée) est la seule femme du camp. Le père de l’adolescent s’inquiète aussi de le voir manquer des semaines entières de scolarité.
« Les gens en ont marre d’être là, résume Océane Marache. Ils ont peur pour la suite parce qu’ils savent bien que là on n’est pas dans le pire du froid, que les températures vont encore se refroidir. C’est la perspective de la suite qui fait peur. »
Utopia 56, comme les habitants du campement attendent une prochaine mise à l’abri. « Nous avons envoyé un mail à la préfecture pour savoir quand les mesures d’hébergement dont ils parlent seraient prises », affirme Océane Marache. L’association n’a pas eu de réponse pour le moment.