L’ONG de défense des droits humains a rendu publique, lundi, une enquête dans laquelle elle accuse la Turquie d’avoir forcé des Syriens réfugiés dans le pays à retourner en Syrie. Des centaines de Syriens, principalement des hommes et des garçons, sont concernés, affirme Human Rights Watch.
C’est une confirmation du changement de politique de la Turquie vis-à-vis des réfugiés syriens. Dans une enquête détaillée, publiée lundi 24 octobre, l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) accuse Ankara d’expulser des Syriens réfugiés en Turquie vers la Syrie.
HRW a interrogé, entre février et août 2022, 37 hommes et garçons bénéficiant de la protection temporaire en Turquie, ainsi que des membres des familles de Syriens ayant été expulsés durant cette période. Ils ont affirmé avoir été forcés de quitter la Turquie après avoir été arrêtés, certains à leur domicile, d’autres à leur travail ou même dans la rue. Tous indiquent avoir été détenus dans des centres d’expulsions dans des conditions indignes, où les coups et mauvais traitements étaient courants. Les Syriens interrogés assurent également avoir été contraints de signer des documents qu’on leur interdisait de lire, mais qui étaient censés prouver qu’ils étaient « volontaires » à un retour dans leur pays.
« En violation du droit international, les autorités turques ont rassemblé des centaines de réfugiés syriens, même des enfants non accompagnés, et les ont renvoyés de force dans le nord de la Syrie », a déclaré Nadia Hardman, chercheuse sur les droits des réfugiés et des migrants à Human Rights Watch.
Le principe juridique du non-refoulement, qu’Ankara est tenu de respecter en vertu d’un traité international, interdit le retour de toute personne vers un lieu où elle court un risque réel de persécution, de torture ou de menace pour sa vie.
Le mois dernier, la Commission d’enquête des Nations unies sur la Syrie a réaffirmé que la Syrie n’était pas sûre pour les rapatriés.
Pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés
Avec 3,6 millions de réfugiés syriens, la Turquie est le pays accueillant le plus de réfugiés au monde. « Recep Tayyip Erdogan a joué [dès le début de la guerre en Syrie] la carte de la solidarité sunnite et de la bienveillance humanitaire avec les réfugiés syriens en les qualifiant d »invités’ et leur assurant un accueil qu’il voulait – en se présentant comme un modèle en la matière – meilleur que celui proposé par les autres pays de la région », soulignait, en juin dernier, David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient, chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques, interrogé par France 24.
Mais au fil des années de guerre, il s’est retrouvé à devoir gérer un afflux massif de réfugiés sur son territoire, rappelle le spécialiste. « Un afflux et une présence qui ont fini par irriter l’opinion publique turque qui les perçoit de plus en plus comme un fardeau, d’un point de vue démographique mais aussi économique. »
En avril dernier, dans un sondage publié par le quotidien Hürriyet, c’est la « haine » qui arrivait en tête chez 21 % des sondés, interrogés sur le sentiment que leur inspiraient les réfugiés syriens, précise France 24.
« Faire du nord de la Syrie un dépotoir de réfugiés »
À l’approche des élections, le gouvernement cherche maintenant à renvoyer un nombre croissant de personnes dans les zones du nord de la Syrie sous le contrôle de l’armée turque.
« Bien que la Turquie ait fourni une protection temporaire à 3,6 millions de réfugiés syriens, il semble maintenant que le pays tente de faire du nord de la Syrie un dépotoir de réfugiés », déplore Nadia Hardman.
HRW rappelle qu’en mai 2022, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a annoncé son intention de réinstaller un million de réfugiés dans le nord de la Syrie, dans des zones non contrôlées par le gouvernement, même si le pays reste peu sûr pour les réfugiés qui y retournent.
Au début du mois, un responsable turc a déclaré que près de 527 000 Syriens étaient rentrés volontairement. En annonçant en mai un projet de construction de logements dans la région d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’il faciliterait le retour d’un million de réfugiés de Turquie.
Pression sur les réfugiés syriens
Le dirigeant turc a récemment amorcé un changement de politique à l’égard de son voisin, suggérant la possibilité de pourparlers avec le président syrien Bachar al-Assad. Ankara exigeait auparavant la destitution du chef d’État alors qu’elle soutenait les groupes d’opposition.
De nombreux Syriens vivant en Turquie craignent que le réchauffement des relations n’entraîne une pression accrue sur eux pour qu’ils rentrent chez eux.
Cette crainte est renforcée par le fait que certains pays, comme la Grèce, considèrent la Turquie comme un pays tiers sûr. En juin 2021, Athènes a décidé que la Turquie serait considérée comme tel pour les demandeurs d’asile originaires de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh et de Somalie.
Grèce : inquiétude de nombreux migrants après la nouvelle loi qui prévoit leur renvoi en Turquie
Cette décision a pour conséquence que leurs demandes d’asile ne sont plus examinées par les autorités grecques, celles-ci estimant que ces personnes pouvaient rester en Turquie et y demander une protection.