Après 119 jours de mobilisation, les 80 exilés de la place de la Bastille ont été expulsés. Si l’opération conduite par Utopia56 a permis à ces jeunes, pour la plupart des mineurs en recours, de trouver, pour un temps un peu de réconfort, l’association déplore le silence des autorités quant au sort de ces jeunes, « condamnés à l’errance ».
Cela faisait 119 jours et autant de nuits qu’ils campaient place de la Bastille à Paris, par tous les temps. Vendredi 23 septembre, les 80 jeunes migrants qui occupaient l’endroit ont été évacués après la publication, la veille, d’un arrêté préfectoral. « Les exilés ont été réveillés à 7h par les services de l’État, précise à InfoMigrants Nikolaï Posner d’Utopia56. Ils ont ensuite été conduits, sous les yeux des CRS qui entouraient le campement, dans des bus », direction les CAES d’Ile-de-France.
Le 28 mai, l’association Utopia56 avaient installé ces jeunes migrants sur la place de la Bastille, pour alerter sur la précarité de leur statut. Ces jeunes sont pour la plupart des mineurs en recours : cette minorité n’ayant pas été reconnue par les autorités, ils ont fait appel de cette décision. Mais ni majeurs, ni mineurs aux yeux de la justice, ils errent dans une zone grise administrative, durant laquelle ils ne peuvent prétendre à une prise en charge. Une situation et qui les « condamne à l’errance », regrettait Pierre Mathurin, coordinateur de l’association, en juillet dernier.
La raison officielle qui a poussé les autorités à stopper l’opération ? « De graves problèmes de salubrité publique, une épidémie de gale y ayant été constatée par l’agence régionale de santé d’Île-de-France », avancent la préfecture de la région d’Île-de-France, la préfecture de Paris et le préfet de police dans un communiqué commun. « Au regard de la situation actuelle, cette manifestation crée un trouble à l’ordre public et met en danger non seulement les occupants du campement, mais également les personnes et riverains qui transitent chaque jour sur la place de la Bastille », ajoute le document.
Utopia56 affirme de son côté qu’un seul cas de scabiose (autre nom désignant la gale) a en fait été diagnostiqué sur le camp, puis transmis à l’Agence régionale de santé, peut-on lire dans un communiqué de l’association.
La promesse d’un lieu d’hébergement
Après plus de 100 jours d’occupation, le bilan est mitigé pour les bénévoles. « D’un côté, c’est positif, car l’opération est une réussite sur le plan humain. Les jeunes ont, au moins pour un temps, trouvé du soutien et profité d’un accompagnement, explique Nikolaï Posner. La population locale a été sensibilisée à leur sort, et surtout, la mairie de Paris s’est engagée à mettre à disposition des hébergements pour les mineurs en recours ». D’après le militant, la ville de Paris disposera, courant 2023, de deux espaces de 40 et 60 places pour accueillir ces jeunes.
À Paris, il n’existe actuellement qu’un seul lieu d’accueil pour ces mineurs en recours : le centre Émile Zola, situé dans le 15e arrondissement. D’une capacité de 40 places, « il est totalement sous-dimensionné », regrettait Pierre Mathurin, en juillet. Surtout, l’endroit ferme ses portes à la fin de l’année 2022. Il y a donc urgence à trouver des solutions.
Dans le même temps, Nikolaï Posner déplore « la politique de la chaise vide » déployée par l’État durant toute l’opération. « Malgré nos relances, personne – ni la préfecture, ni les ministres concernés – n’a répondu à nos sollicitations. Le sujet de fond, à savoir l’entrée dans la loi de la présomption de minorité, n’a jamais trouvé écho. »
Des mineurs en errance partout en France
La situation des mineurs de la Bastille touche des exilés un peu partout en France. À Marseille actuellement, une cinquantaine d’adolescents errent dans la ville, à la recherche d’un toit. Mercredi 22 septembre, ils ont été délogés de leur squat de l’avenue de la Canebière qu’ils occupaient depuis huit mois, en centre-ville. « Les policiers ont vidé la maison et ont fermé la porte. On ne sait pas encore où on va aller », a lancé « la peur au ventre » l’un d’entre eux, Amara Bangoura, à France3.
La veille, dans le sud-ouest de la France, à Toulouse, 141 exilés qui campaient devant le palais de justice depuis trois semaines ont eux aussi été évacués. Ils s’étaient installés à cet endroit après avoir été expulsés, le 26 août, d’un ancien Ehpad qu’ils occupaient depuis février 2020.
À Lyon en revanche, une soixantaine de jeunes sont toujours à la rue. Depuis le mois de juillet, ils ont investi un square du quartier de la Croix-Rousse, en plein centre de la ville. « On est abandonné », a déploré Souleymane, dans une lettre adressée aux autorités jeudi, et lue en public.
Un sentiment de solitude et de désespoir commun à tous les jeunes migrants dans la même situation. En juillet, Golhassan, un adolescent afghan qui a quitté son pays en août 2021 après la prise de pouvoir des Taliban, confiait sa détresse à InfoMigrants. Avant de venir place de la Bastille, il dormait « où [il] pouvait », la plupart du temps dans des parcs de la capitale. En France, Golhassan est seul. Toute sa famille est restée en Afghanistan, et son père, qui avait entamé son exil avec lui, a disparu à la frontière turco-iranienne.