En Seine-Saint-Denis, déposer une demande de titre de séjour relève toujours du parcours du combattant… en ligne. Malgré une demande du Conseil d’État adressée aux préfectures le 3 juin sur la nécessité de prévoir une « solution de substitution » aux procédures dématérialisées – c’est-à-dire tout numérique -, les évolutions sur le terrain se font attendre, déplorent des associations.
Près de quatre mois après la décision du Conseil d’État, qu’en est-il des procédures dématérialisées dans la préfecture de Seine-Saint-Denis, en région parisienne ? Pour rappel, la plus haute juridiction administrative avait annulé, le 3 juin dernier, un décret datant de 2021 qui imposait aux étrangers de prendre rendez-vous en ligne. Il avait alors été demandé au gouvernement de prévoir une « solution de substitution » à cette pratique dans un délai d’un mois. À savoir : rendre de nouveau accessibles les préfectures pour certains cas.
Le Conseil d’État souhaitait ainsi rétablir un dysfonctionnement : le recours exclusif au téléservice a en effet handicapé des milliers de personnes, n’arrivant pas à prendre rendez-vous sur Internet et à régulariser leur situation (renouvellement de titre de séjour ou première demande).
Or, à la date du 21 septembre, force est de constater que la situation n’a guère évolué. « À ma connaissance, aucune alternative n’a été mise en place’, explique Jean-Michel Delarbre, secrétaire fédéral 93 pour la Ligue des droits de l’Homme (LDH), contacté par InfoMigrants.
Une « procédure simplifiée » est bien entrée en vigueur en ce qui concerne l’admission exceptionnelle au séjour, mais cette mesure ne résout pas le problème créé par la dématérialisation, bien au contraire. « Selon cette nouvelle procédure simplifiée, il faut désormais remplir un formulaire via le compte FranceConnect : créer un compte puis télécharger plusieurs justificatifs en format PDF ou photo. Une fois ce formulaire rempli, les demandeurs de titres de séjour sont censés recevoir une date de rendez-vous », continue Jean-Michel Delarbre.
Une procédure tout numérique, encore. « Cela pose les mêmes difficultés pour les personnes qui n’ont pas d’ordinateur et seulement des smartphones, déplore le secrétaire fédéral.
« La plupart des gens ne savent pas télécharger des documents via un smartphone »
La dématérialisation des titres de séjour est vivement critiquée par les associations mais aussi par des instances officielles, comme le Sénat. Dans un rapport sur l’immigration, la chambre haute était revenue sur les dysfonctionnements de ce système, notamment sur le nombre insuffisant de créneaux disponibles en ligne. « Il faut plus de personnel aux guichets afin de recevoir plus rapidement les personnes et mieux les accompagner dans leurs démarches. Sinon la machine se grippe et les gens deviennent sans-papiers », avait déclaré à InfoMigrants le sénateur François-Noël Buffet, président de la commission des lois et rapporteur du document, en mai dernier.
Les associations, elles, n’ont de cesse de pointer l’inefficacité de ce système. « Les files d’attente physiques ont été remplacées par des files d’attente invisibles mais bien réelles, pouvant durer des mois, voire plus d’un an pour l’obtention d’un simple rendez-vous », avait rappelé, le 21 juillet, un collectif d’associations, dont le Gisti et la Cimade.
Plus important : nombre de demandeurs de titres de séjour sont dans l’incapacité technique de se plier aux règles de ce système. « Dans nos permanences, la plupart des gens viennent avec un pauvre smartphone. Quelques fois, ils ne savent pas s’en servir pour télécharger des documents. Ils l’utilisent simplement pour Whatsapp, ils ne se servent même pas des emails », commente Jean-Michel Delarbre.
Résultat : ce sont les associations qui doivent venir en aide à ces demandeurs perdus dans les limbes du numérique. Dernière occurrence en date : mardi 20 septembre au soir, une mère de famille s’est présentée à La ligue des droits de l’Homme, incapable de créer un compte via la plateforme FranceConnect. « Pour nous, c’est un surcroît de travail, explique encore le secrétaire fédéral. Et qui plus est, il s’agit d’un travail technique qui n’est pas tout à fait le notre, mais nous y sommes contraints par cette situation. »
« Si vous adressez votre courrier par voie postale, il sera considéré comme ‘non prioritaire' »
« À ma connaissance ce qui a été mis en place par la préfecture est très largement insuffisant et ne répond pas aux demandes du tribunal administratif de Montreuil qui avait donné injonction de mettre en place des moyens effectifs et crédibles », surenchérit pour sa part Maître Eléna de Guéroult d’Aublay, avocat spécialisée en droit des étrangers et membre du Syndicat des avocats de France (Saf), jointe aussi par InfoMigrants.
Elle fustige, elle aussi, les nouvelles démarches qui ne résolvent en rien le problème de départ. « Pour l’admission exceptionnelle au séjour, alors même que le conseil d’État a jugé que le préfet ne pouvait imposer de la dématérialisation sans alternative, le module de prise de rendez-vous a été remplacé par le site démarches simplifiées qui est de la dématérialisation. » Et d’ajouter : « Il est même mentionné que si vous adressez votre dossier par voie postale, il sera considéré comme ‘non prioritaire’. On est donc bien loin des moyens crédibles mis en œuvre. »
Contactée ,la préfecture de Seine-Saint-Denis n’a pas répondu à nos questions.