Issa* rêvait d’une vie meilleure en Belgique. Mais depuis le dépôt de sa demande d’asile, le jeune exilé de 26 ans est dans « une situation catastrophique ». Le système d’accueil du pays étant complètement saturé, il vit dans la rue et dépend des associations pour se nourrir.
Issa, 26 ans, a quitté le Niger le 15 mai 2022. Découragé par le manque de perspectives professionnelles dans son pays, il a pris un avion pour Paris, grâce à une invitation pour un forum professionnel. Sur les conseils d’un ami basé à Liège, il a ensuite gagné la Belgique. C’est à ce moment-là que « les ennuis ont sérieusement commencé », assure-t-il.
« J’ai demandé l’asile le 6 juillet. C’était aussi le jour de mon arrivée à Bruxelles. J’ai passé la journée au Petit-Château [l’unique centre d’enregistrement pour demandeurs d’asile en Belgique, géré par l’agence fédérale pour demandeurs d’asile Fedasil, ndlr], pour faire mon dossier. À la fin, on m’a donné un papier : il disait que le centre était saturé et qu’il n’y avait pas de places d’hébergement. On m’a laissé partir.
Cela fait près d’un an que le système d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique est en crise. Ce dernier étant très régulièrement saturé, de nombreuses personnes se retrouvent à la rue, sans solution. L’État belge et Fedasil ont été condamnés le 17 janvier par la justice pour leur gestion de l’accueil dans le pays. Pour les associations sur place, c’est bien « un problème de gestion et non un afflux inédit de migrants » qui pèse sur le système d’accueil belge, avait affirmé Muriel Goncalves de Médecins du monde à InfoMigrants.
Depuis ce jour, je dors dehors, sur le trottoir du Petit-Château. La journée, je suis aussi dans la rue. Pour boire, manger ou me laver, je vais à la Croix-Rouge. C’est aussi là-bas que je recharge mon téléphone. Le Samu social vient parfois nous distribuer de la nourriture près de Fedasil, mais ils ne viennent pas tous les jours. Il y a des journées où je ne mange rien. Pour faire mes besoins aussi, c’est compliqué. Tous les jours je cherche un endroit approprié. Quand je ne trouve pas, je retourne encore à la Croix-Rouge. Ma situation est catastrophique.
En plus, je n’ai aucune nouvelle de mon dossier. Les agents de Fedasil nous assurent que le problème ne vient pas d’eux. Ils nous disent de prendre un avocat, ou que des places vont bientôt se libérer. Mais je ne les crois plus.
Pour pallier la situation, Fedasil ouvre régulièrement, en urgence, des places d’hébergement. Dernière décision en date : la mise à disposition par le ministère de la Défense de 750 places dans une caserne militaire à Berlaar, près d’Anvers, destinées aux personnes enregistrées au Petit-Château. Le nombre de places géré par l’agence est passé de 28 000 en janvier 2021 à 30 500 en 2022. Malgré cela, le système d’accueil reste « saturé », avait déploré à InfoMigrants Benoît Mansy de Fedasil, début juin.
En Belgique, la crise de l’accueil des demandeurs d’asile s’enlise
Aujourd’hui, je ne sais plus quoi faire. J’hésite à retourner en France, mais là-bas non plus je ne connais personne. Je suis vraiment déçu. Je ne pensais pas qu’ici, en Europe, dans la ville de l’Union européenne [la Commission européenne ainsi que d’autres institutions de l’UE siègent à Bruxelles, ndlr], on traitait les gens comme ça. Je n’ai pas de mots pour expliquer ma déception.
« Des policiers avec des chiens nous chassent »
Je pensais vraiment pouvoir travailler ici. Au Niger, il n’y avait rien pour moi. Le seul travail qu’on te propose là-bas, c’est l’armée. Je ne veux pas être soldat car ensuite, on t’envoie dans la zone des trois frontières. C’est beaucoup trop dangereux.
La zone dite « des trois frontières » est depuis quelques années l’épicentre de la violence au Sahel. Située à l’intersection entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali, elle concentre de nombreuses attaques djihadistes perpétrées par des groupes affiliés à Al-Qaïda et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Le 7 août, 42 soldats maliens ont été tués à cet endroit, dans la commune de Tessit.
En Algérie non plus, où j’ai obtenu mon master en Systèmes de télécommunications, je n’ai pas trouvé de travail. C’est déjà très difficile pour les Algériens, alors pour les Africains … C’est dommage car c’est un bon pays, mais il y a du racisme. Là-bas les Noirs sont maltraités. J’ai déjà vu des personnes jeter des bananes aux Africains dans la rue.
C’est parce que je ne voyais aucune perspective nulle part que je suis venu en Europe. Depuis que je suis ici, le seul job qu’on me propose, c’est du travail au noir, sur des chantiers par exemple. Mais c’est très peu payé, voire pas du tout. C’est de l’exploitation.
En Belgique : « On travaille, on vit comme tout le monde, et ça ne compte pas »
Je me demande combien de temps je vais tenir ici. Surtout que depuis quelques jours, des policiers avec des chiens nous chassent du trottoir la nuit. Alors, avec mes camarades, on s’en va et on part dormir au bord d’un canal. La police vient aussi la journée depuis quelques jours [le 18 août, le Petit-Château est resté exceptionnellement fermé aux nouveaux demandeurs de protection internationale, « suite à des plaintes émises par des riverains pour nuisances », ndlr]. C’est parce que les habitants de la rue se sont plaints. Je comprends, à rester là comme ça jour et nuit, on les dérange. »