Pendant un an, Samir* a travaillé avec de faux papiers pour le groupe de livraison DPD, en région parisienne. Fatigué de ses conditions de travail proches de « l’esclavage » selon lui, l’Algérien a entamé un mouvement de grève avec 70 autres collègues, eux aussi sans-papiers. Depuis quatre mois, les grévistes réclament leur régularisation.
« J’ai commencé à travailler pour le groupe de transport et de livraison DPD France à Le Coudray-Montceaux dans l’Essonne [en région parisienne, ndlr] en novembre 2020. J’ai été embauché avec une fausse carte d’identité italienne.
Au début, je déchargeais les camions chargés de gros meubles : des tables, des armoires, des chaises, des pièces de voiture… Comme je travaillais bien et que mes responsables étaient satisfaits, je suis rapidement passé chef d’équipe.
« Les managers nous exploitaient »
Dans mon entrepôt, il y avait énormément de personnes sans-papiers, comme moi. Certains travaillaient avec des faux papiers, d’autres avec des alias [les papiers d’une autre personne, ndlr].
Au fur et à mesure, le travail est devenu de plus en plus dur. Les managers nous exploitaient, c’était de l’esclavage. J’ai plein d’exemples pour justifier mes propos.
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À mes débuts, nous étions deux pour décharger un camion. Avec le temps, une seule personne était missionnée pour cette tâche. Pareil, pour le tri des colis : au départ, nous étions six personnes puis on est passés à seulement trois personnes.
Une fois, un salarié s’est blessé la jambe en déchargeant un camion. J’ai demandé aux responsables d’appeler une ambulance pour le transporter à l’hôpital. Ils ont refusé et l’ont fait sortir de l’usine. Il n’est jamais revenu travailler et n’a pas pu déclarer un accident du travail.
Si on se plaint, on nous vire. Si on refuse de faire des heures supplémentaires, on met un terme à notre contrat. Il arrive aussi qu’on ne nous paye pas nos heures travaillées. Quand on le fait remarquer aux comptables de Derichebourg [sous-traitant de DPD, ndlr], on nous répond que ce sera fait le mois prochain mais c’est rarement le cas.
« On accepte de travailler dans ces conditions car on n’a pas le choix »
Par peur des représailles, personne ne critique nos conditions de travail. On accepte de travailler 10 heures par jour car on n’a pas le choix. On n’a pas de papiers en règle, on a besoin de gagner de l’argent pour régler nos charges.
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Il y a quatre mois, nous étions tellement à bout qu’avec environ 70 personnes, on a décidé de faire grève, avec l’aide de syndicats. On a installé un piquet à l’intérieur de l’entreprise et devant le site, au niveau de l’entrée du personnel, pour demander de meilleurs conditions de travail ainsi que des justificatifs nous permettant d’être régularisés.
La délivrance du formulaire Cerfa et des attestations de concordance d’identité servent à prouver au travailleur sans-papier qu’il a travaillé sous un alias pour l’entreprise. Avec ces documents, il peut prétendre à un titre de séjour.
Après 17 jours d’occupation, le tribunal d’Évry, saisi par l’entreprise, nous a ordonné de quitter les locaux. On a donc décidé de rester devant la société. Mais début février, la mairie de la ville a demandé l’évacuation des lieux. La police nous a délogés. Dorénavant, on vient tous les jours de 10h à 15h devant les locaux.
Le 30 novembre, le tribunal d’Évry a délivré une ordonnance d’évacuation au motif « d’intrusion sur une propriété privée ». Après cette décision de justice, les grévistes sont sortis calmement du bâtiment et ont rejoint le piquet de grève, situé à l’entrée du site, pas concerné par l’ordonnance d’évacuation. Mais le 2 février, les tentes installées sur le trottoir ont été évacuées par les gendarmes venus faire respecter un arrêté signé par la mairie du Coudray-Montceaux le 30 janvier pour des raisons sanitaires et de sécurité publique. Depuis, les travailleurs sans-papiers maintiennent la pression en tenant un piquet de grève de jour devant l’entreprise.
On a entamé des négociations avec Derichebourg et la préfecture mais pour l’instant les discussions piétinent. Seules une vingtaine de personnes, sur 70, ont obtenu des garanties de Derichebourg. Mais ce n’est pas suffisant. Nous, on continuera le mouvement tant que tout le monde n’aura pas obtenu satisfaction. On reste soudés. »
Selon la maire du Coudray-Montceaux, l’entreprise Derichebourg a accepté de délivrer 27 certificats de travail contre seulement six au début du mouvement. Ces dossiers seront ensuite examinés en préfecture.