Alors que la crise se poursuit entre l’Union européenne et la Biélorussie, des centaines de migrants tentent chaque jour de franchir la frontière polonaise. En réponse, Varsovie a intensifié la militarisation de sa frontière. Pour y échapper, les migrants se terrent dans les denses forêts de la région, espérant pouvoir rejoindre l’Allemagne. Reportage.
La route n’est pas si loin. Mais dans ce coin de forêt, à l’est de la Pologne, près du village de Szymki, la végétation est si dense que tout signe de présence humaine est invisible. La nuit n’est pas encore tombée et pourtant on distingue à peine à travers les arbres les quelques silhouettes installées sur un coin de mousse.
Shirine et Jwoana* sont accompagnées par plusieurs bénévoles polonais de l’association Ocalenie. Ces deux Kurdes syriennes sont épuisées et terrifiées à l’idée que la police les trouve et les renvoie en Biélorussie.
« Nous avons passé trois jours à la frontière en Biélorussie avant d’entrer en Pologne. C’était terrible, nous n’avions rien à boire, ni manger, raconte Shirine, les traits tirés par le manque de sommeil. J’ai supplié un soldat de me donner de l’eau, il m’a dit : ‘Ne me parle pas en anglais, il n’y a pas d’eau. Pars’. Il m’a ensuite repoussée. »
À son départ de Syrie, il y a une dizaine de jours, la jeune femme avait des symptômes d’un début de grossesse. En traversant la frontière, elle a eu de forts saignements et des douleurs au ventre. « Je pense avoir perdu le bébé », confie-t-elle. À côté d’elle, un soignant s’inquiète et lui conseille d’aller à l’hôpital mais Shirine refuse : « Ils vont me renvoyer en Biélorussie. »
La jeune femme et son amie demandent « de la nourriture, de l’eau, des chaussettes sèches, des vêtements », pour elles ainsi que pour la dizaine d’autres personnes avec qui elles se déplacent et qui les attendent sans doute à quelques dizaines de mètres. « Nous voulons rester dans la forêt jusqu’à ce que nous trouvions un moyen d’aller en Allemagne. »
Refoulements
Inquiétante depuis le mois d’août, la situation à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne a pris un tournant dramatique début novembre, lorsque des milliers de personnes, majoritairement originaires d’Irak et de Syrie, se sont massées en face du poste frontière polonais de Kuznica avec l’aide des autorités biélorusses.
En état d’urgence à sa frontière orientale depuis début septembre, la Pologne a renforcé la présence militaire et policière dans la région frontalière de Podlasie. Pour les exilés qui tentent depuis l’été de rejoindre l’Allemagne en traversant cette région densément boisée, les arrestations et les refoulements sont de plus en plus nombreux. Ceux qui ne sont pas arrêtés risquent leur vie en dormant dans les bois alors que l’hiver s’installe et que les températures s’approchent dangereusement des négatives.
La Pologne a légalisé les refoulements de migrants vers la Biélorussie et instauré une zone d’exclusion de 5km dans la laquelle ni les médias, ni les ONG ne sont autorisés à pénétrer.
Si la demande de protection internationale est en théorie possible dans le pays, elle est rarement respectée. « Fin octobre, nous avons vérifié nos données et nous avons découvert que près de 30 % des personnes que nous avions rencontrées et qui ont demandé l’asile [en Pologne] ont été renvoyées dans les bois », dénonce Anna Chmielewska, de la fondation Ocalenie, interrogée par InfoMigrants à Sokolka.
Ces renvois existent même pour des personnes hospitalisées à peine remises de leurs blessures. « Si une personne veut demander l’asile et se trouve dans une situation telle que nous devons appeler une ambulance, les garde-frontières viennent également. Nous essayons toujours de leur dire que cette personne est prête à demander l’asile en Pologne […] De l’hôpital, les gens sont généralement emmenés au poste des garde-frontières, puis renvoyés dans les bois », décrit Anna Chmielewska.