« Dans les prisons du nord de Chypre, environ 40% des détenus sont des migrants illégaux »
29 juillet 2021Leke*, un Camerounais de 39 ans, homosexuel, installé en RDC, a fui vers Chypre pour demander l’asile dans la partie sud de l’île, administrée par l’Union européenne. Mais l’homme a été interpellé par les Turcs, qui occupent la partie nord de l’île, avant de traverser la frontière. Il a été envoyé en prison puis expulsé vers Kinshasa. Témoignage.
« J’ai fui le Cameroun en raison de mon orientation sexuelle. Lorsque la famille de mon ami a découvert que j’étais homosexuel, elle m’a battu et m’a enfermé dans la maison. Un jour, j’ai réussi à m’échapper et je me suis enfui. J’ai quitté mon pays et je me suis réfugié en République démocratique du Congo (RDC).
À Kinshasa, je me suis procuré un faux passeport congolais avec l’aide d’un ami. J’ai pris un faux nom, car j’avais peur qu’on me retrouve. Après deux ans passés dans la capitale congolaise, j’ai décidé de tenter ma chance à Chypre, car en RDC, je ne peux pas vivre pleinement ma vie.
En RDC, l’homosexualité n’est pas pénalisée mais elle est très peu acceptée dans la société.
Au Congo, il y a des ‘agences de voyage’ en ligne qui vous fournissent des documents pour entrer légalement dans la partie nord de Chypre [la partie turque, ndlr] : en échange de 2 400 dollars [un peu plus de 2 000 euros, ndlr], par exemple, ils vous délivrent des faux diplômes congolais pour vous inscrire en toute légalité dans une université chypriote. Ils payent aussi les frais d’université. Le billet d’avion reste en revanche à la charge des acheteurs.
« Le numéro du passeur était hors service »
Le 10 avril 2021, je suis arrivé à l’aéroport d’Ercan [dans le nord de Chypre, ndlr]. En raison de la crise sanitaire, j’ai été envoyé dans un hôtel pour suivre la quarantaine obligatoire. Alors que je devais sortir au bout de deux semaines, j’ai été testé positif au Covid. Je suis donc resté dans l’hôtel deux semaines supplémentaires.
En sortant, j’ai appelé le contact du passeur qui devait me faire traverser la frontière vers la partie sud de l’île mais il n’a jamais répondu, le numéro était toujours hors service. J’ai rencontré un étudiant ivoirien qui vivait dans le nord de Chypre et qui m’a hébergé quelques jours.
J’ai finalement réussi à obtenir le numéro d’un autre passeur, grâce à un Camerounais qui avait traversé la frontière quelques mois auparavant. Le passage coûtait 250 euros.
Chypre est divisée en deux : la partie nord, la République turque de Chypre du nord (RTCN), est sous occupation turque. Cet État n’est reconnu par aucun pays hormis la Turquie. La partie sud, la République de Chypre, est indépendante et membre de l’Union européenne. La ville de Nicosie est la capitale des deux pays, une frontière (la Ligne verte) à l’intérieur de la ville délimite les deux États.
La nuit du départ, le 17 mai, nous étions un petit groupe de sept : un Camerounais, une Nigériane, deux Bangladais, deux passeurs pakistanais, et moi-même. Nous avons marché près d’une heure dans la partie nord de Nicosie pour atteindre la frontière. Mais à environ 100 mètres du barrage, les militaires nous ont vus et nous ont interpellés. Nous avons passé quelques heures dans un camp militaire et nous avons été emmenés dans les locaux de la police. Nous sommes restés trois jours dans une cellule du commissariat puis nous avons été présentés à un juge.
Condamné pour immigration illégale
La justice nous a condamnés le 20 mai à 40 jours de prison pour immigration illégale. À notre arrivée en détention, on a passé environ une semaine dans une grande salle en attendant que des cellules se libèrent. Nous étions une vingtaine.
Ensuite, on a été séparés et j’ai été amené dans une cellule. Les cellules sont des grandes pièces qui contiennent quatre chambres : dans chacune d’entre elles, il y a environ 40 prisonniers. À l’intérieur, nous étions tous des étrangers (Saoudiens, Pakistanais, Bangladais…) mais certains avaient été condamnés pour des crimes, des viols ou pour des histoires de drogue. À vue de nez, je dirais que 40% des personnes étaient là pour immigration illégale et le reste condamnés pour des faits de droit commun.
Malgré ces profils différents, il n’y a jamais eu de problème et l’ambiance était plutôt conviviale (sic) : on passait notre temps à faire du sport dans la cour ou à jouer à un jeu de dames que nous avions construit.
À ma sortie de prison début juillet, les autorités m’ont mis dans un avion pour me renvoyer en RDC.
Je suis de retour chez l’ami qui m’hébergeait à Kinshasa. Je ne sais pas quoi faire. Je n’ai pas de travail en RDC et je souhaite demander l’asile à Chypre, dans la partie européenne, mais on ne m’a pas laissé le faire. Je pense que je vais retenter le voyage, comme la première fois, en espérant avoir plus de chance.
Depuis mon retour, je m’interroge : à qui profite tout ça ? Les Turcs enferment les immigrés, payent la nourriture aux prisonniers et le rapatriement des étrangers dans leur pays d’origine. Quel est leur intérêt dans cette histoire ? »