Financements de projets pour d’anciens migrants : Des jeunes en mal de bailleurs
31 octobre 2016Financements de projets pour d’anciens migrants : Des jeunes en mal de bailleurs
Chercher à trouver des financements pour ses projets demeure un exercice extrêmement difficile pour les jeunes candidats malheureux à l’émigration clandestine. Ayant souvent une qualification professionnelle, ces jeunes de retour d’Espagne s’interrogent toujours sur leur avenir quant à leur réinsertion économique. Ils dénoncent les agissements des acteurs qui disent agir en leur nom pour leur trouver des financements et fustigent la démarche de certaines Ong qui, après les avoir approchés et réalisé des études de projet, leur ont tourné le dos.
Parallèlement, les pouvoirs publics cherchent à apporter des réponses aux préoccupations de cette catégorie de jeunes soucieux de leur devenir. Le Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) avec les Domaines agricoles communautaires (Dac) et les fermes agricoles travaillent à freiner cette forme périlleuse d’aventure des jeunes dans diverses localités du pays. En collaboration avec l’Institut Panos pour l’Afrique de l’Ouest, le journal Le Quotidien a cherché à cerner les contours de cet état de fait qui constitue une des excroissances du drame de l’émigration clandestine.
Financement de projets : Un casse-tête…de migrant
«Depuis 2006, année de notre retour d’Espagne, nous courons après un financement de nos projets, mais toujours rien. On avait élaboré des projets relatifs à l’élevage, la pêche et l’aquaculture qu’on avait remis au gouvernement. Nous attendons toujours de voir nos requêtes satisfaites par l’Etat.» Cette déclaration de Diallo Niang illustre à quel point les jeunes candidats malheureux à l’émigration clandestine peinent à trouver des financements pour leurs projets. Même des appels seront lancés en direction «des acteurs évoluant dans le cadre de l’émigration pour qu’ils (leur) viennent en aide». Regroupés au sein de l’Association des rapatriés d’Espagne de Thiaroye, Diallo Niang et ses amis ne sont pas pour autant restés de marbre. «Nous avons eu l’idée de nous rapprocher de l’Anpej (Agence nationale pour l’emploi des jeunes) et d’autres structures de financements, mais malheureusement nous n’avons pas accès à elles», renseignent-ils.
D’anciens migrants comptent leur galère
Son camarade d’infortune Seydina Alioune Niang dit Niass, un pêcheur qui évolue au quai de pêche de Rufisque, d’enchaîner : «Nous avons besoin de financements, mais nous ne savons pas où passer pour y accéder. Des Ong espagnoles sont venues nous voir pour faire des études de projet et nous financer après. Mais on ne les a pas vues par la suite.» Des financements que cherchent et peinent à trouver «3 500 jeunes de Rufisque qui sont des maçons, des menuisiers et des pêcheurs». Diallo Niang ne peut manquer de constater : «C’est par la suite qu’on se rend compte qu’elles ne nous sont d’aucune utilité. Je peux dire qu’elles ne font que nous exploiter. C’est pourquoi on peine à mobiliser les gens.» Ces derniers dont la plupart exercent un métier (ils sont des pêcheurs ou des ouvriers qualifiés) ont d’ailleurs dans cette optique mis en place des associations : And takku liggeyal Mame Coumba Lambaye et Association des maîtres-nageurs et sauveteurs Mame Coumba Lambaye. Des structures nées de la scission d’avec l’Association des rapatriés d’Espagne du département de Rufisque.
Un autre acteur qui œuvre dans le plaidoyer ne peut s’empêcher de faire ses observations. «Ces jeunes croient qu’ils peuvent obtenir des financements. Ils ont droit aux financements, mais n’y ont malheureusement pas accès parce qu’ils en sont privés», souligne Mamadou Diop Thioune, leader de Plaidoyer plateforme pêche, migration, aquaculture et écologie. «Depuis 2006, on ne sent pas l’impact des fonds de financement pour l’intégration et la réinsertion des jeunes dans les circuits d’emploi que l’Union européenne injecte dans ce pays, alors que Thiaroye a plus souffert de l’émigration clandestine», constate M. Thioune. Qui révèle encore : «On a presque 300 jeunes qui ont disparu du fait du phénomène de l’émigration clandestine. On a eu 600 jeunes rapatriés d’Espagne et tous sont des pères de famille, ont des problèmes pour trouver du travail. Leurs familles ne peuvent pas se nourrir. Ils ne font rien et traînent actuellement.»
Evoluant dans le domaine de l’élevage, Souleymane Diané, un autre candidat malheureux à l’émigration clandestine revenu en 2006 d’Espagne, menait sa propre activité avec ses propres moyens avant son aventure. A son retour, ce menuisier ébéniste de profession va faire face à un «problème de financement», après avoir acquis une parcelle pour y faire de l’élevage.
Esquisse de solutions à Rufisque
Malgré tout, il y a eu une esquisse de solutions dans la commune de Rufisque. Puisque celle-ci avait mobilisé en 2011 une enveloppe de 7,5 millions de francs en guise de subvention pour d’anciens candidats malheureux à l’émigration clandestine formés comme maîtres-nageurs et sauveteurs, du temps de Badara Mamaya Sène. «Nous avions bénéficié d’un contrat de trois mois lors du mandat de Mamaya. Chacun des maîtres-nageurs et sauveteurs touchait 70 mille francs par mois durant toute la durée du contrat», annonce Seydina Alioune Niang. Qui ajoute : «120 mille francs avaient été tirés de la subvention de 7,5 millions pour nous servir de caisse. Par la suite, certains d’entre nous avaient des enfants qui tombaient malade. Nous les avions aidés avec une partie de cet argent.»
Diallo Niang en veut encore aux acteurs qui «agissent en (leur) nom, des mandataires non légitimes qui parlent au nom des émigrés délaissés». «Ils se servent de cette émigration pour fonctionner et vivre sans servir les migrants. Ils profitent de leur misère», dénonce le responsable de l’Association des rapatriés d’Espagne de Thiaroye.
«On ne veut pas repartir en Espagne. On veut rester dans notre pays pour travailler et gagner notre vie. On demande à l’Etat du soutien. Qu’il nous finance nos projets dans le domaine de l’informatique, de l’agriculture et de l’aquaculture», souhaite Diallo Niang. «Nous voulons la prise en compte de nos centres d’expérimentation en agriculture, aquaculture et transformation des produits halieutiques. Nous voulons aussi un renforcement de nos capacités, des U3p (Unités de paysans, pasteurs et pêcheurs)». M. Niang milite aussi pour des campagnes d’information, de sensibilisation et d’insertion des jeunes dans le domaine de l’emploi «vert ou bleu».
Auteur: Mamadou T. DIATTA – Lequotidien