Le siècle des réfugiés climatiques
5 janvier 2016Le siècle des réfugiés climatiques
En provoquant la disparition définitive de territoires et de ressources naturelles, le réchauffement climatique risque de conduire à des déplacements de plus en plus massifs de populations. Il est urgent de prendre cette réalité en compte et d’élaborer un statut de réfugié pour les migrants du climat.
Nous assistons depuis quelques années à la mise en place d’un consensus international : le réchauffement climatique existe, et il est en bonne partie imputable aux gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère par les activités humaines. Il conduit à une dégradation rapide de l’environnement et de la biodiversité.
Curieusement, le consensus semble s’arrêter là et ne pas tirer toutes les conséquences de son énoncé : l’être humain est au coeur du processus. Il est pourtant doublement exposé. D’une part à la destruction progressive des écosystèmes et des ressources naturelles dont il dépend ; d’autre part à la disparition – induite par la désertification, l’élévation du niveau des océans, la fonte des glaces ou l’érosion – de territoires où il réside.
Partout des communautés, des peuples, des nations sont confrontés à la perspective d’une émigration forcée. C’est le cas dans les grands deltas comme ceux du Nil, du Mékong, du Gange et du Brahmapoutre. Mais aussi sur les bandes littorales comme celles du sud des Etats-Unis, dans les systèmes insulaires peu élevés comme les atolls du Pacifique et de l’océan Indien, ou encore aux marges des déserts comme au pourtour du lac Tchad et à la périphérie de Pékin.
Dans ces régions particulièrement exposées, les migrations ont déjà commencé. Selon le professeur Norman Myers, de l’université d’Oxford, la planète pourrait compter près de 50 millions de réfugiés climatiques en 2010 et 200 millions d’ici à 2050. L’ampleur, la simultanéité et l’irréversibilité de ces mouvements de population en font un enjeu crucial pour l’avenir de l’humanité. Rien qu’au Bangladesh, pays déjà fragilisé par la plupart des conséquences du réchauffement climatique (élévation du niveau de la mer, fonte des glaciers himalayens, sécheresse, dérèglement du régime de la mousson, puissance accrue des cyclones…), les migrants pourraient se compter par millions. La question est de savoir où ils iront, sachant que les deux seuls Etats voisins, l’Inde et la Birmanie, seront confrontés à des problèmes environnementaux similaires et que, par surcroît, ils sont historiquement hostiles à l’accueil de réfugiés bangladais. Au Bangladesh comme ailleurs, on le comprend, ne pas anticiper les déplacements à venir reviendrait à risquer une catastrophe humanitaire et de graves troubles frontaliers.
L’« ethnodiversité » en danger
Mais la question ne se limite pas à la préservation de l’ordre mondial. A côté de la biodiversité, c’est l’« ethnodiversité » de la planète qui est mise à mal. Nombre de communautés et de peuples autochtones détenteurs d’un savoir et d’une culture profondément ancrés dans leur environnement sont en passe de disparaître. Qu’ils en soient conscients (comme les Inuits de Shishmaref en Alaska ou les Polynésiens de l’Etat de Tuvalu) ou non, l’arrachement au territoire nourricier conduira à la dispersion de leur communauté, puis à la dislocation rapide de leur identité.
Au-delà de l’irrémédiable perte que représente, pour l’humanité, la mort d’une culture singulière, c’est une question de justice qui se pose. Car c’est bien la gestion défaillante des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la planète, et non un accident naturel ou une quelconque fatalité, qui conduit à la disparition de peuples dont la plupart sont d’infimes contributeurs du réchauffement.