A Barcelone, des vendeurs ambulants créent leur propre syndicat
7 novembre 2015A Barcelone, des vendeurs ambulants créent leur propre syndicat
Ils font partie depuis des lustres de la carte postale de Barcelone. Les manteros proposent aux passants des produits de contrefaçon sur une couverture – la manta en espagnol. Au pied de la statue de Christophe Colomb, en bas des Ramblas, la célèbre artère touristique, ils sont souvent une cinquantaine à être aux petits soins avec leur clientèle internationale. Mais depuis début octobre, ces vendeurs ambulants, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne, sont fatigués de courir pour fuir la police. Ils ont fondé leur syndicat.
« On souhaite lutter collectivement face à la violence policière », explique Aziz, Sénégalais de 31 ans, mantero à Barcelone depuis huit ans. Le jeune homme vend des répliques de maillots du FC Barcelone ou des lunettes de soleil bon marché. Ces mêmes produits qu’on retrouve dans d’innombrables boutiques du centre-ville. « On nous dit qu’on fait du mal au commerce local. C’est faux, les gens qui achètent un maillot à 20 euros n’auraient jamais acheté l’original à 80 euros. De toute façon, ça n’explique pas la démesure de certaines interventions policières. »
Ces « travailleurs », si visibles de tous, en ont eu assez d’être « invisibilisés ». C’est pourquoi ils ont fondé, début octobre, le Syndicat populaire des vendeurs ambulants afin de « lutter contre la persécution, la discrimination et le racisme ». Le syndicat réunit déjà quelque 130 manteros – sur 200 à 400 vendeurs ambulants estimés rien qu’à Barcelone. L’initiative fait suite à un été très agité. Le 11 août dernier, dans la station balnéaire de Salou, au sud-ouest de Barcelone, les Mossos d’esquadra (la police catalane) cherchent à réaliser une perquisition dans un appartement. Un mantero d’origine sénégalaise tente de prendre la fuite et meurt en sautant du troisième étage.
Tensions entre vendeurs et forces de l’ordre
Ce qui suit paraît inédit : près de 200 manteros prennent la rue pour exprimer leur indignation. Les faits provoquent un début d’emballement médiatique, alimenté par un nouvel affrontement avec les forces de l’ordre, le 3 septembre, à Barcelone. Pourtant, Alícia Rodríguez, responsable du service d’attention et de dénonciation pour des victimes de racisme et de xénophobie au sein de SOS racisme, assure que les événements de Salou ne constituent pas le premier signal d’alerte : « Chaque période estivale est synonyme de tensions. Ce qui a changé, c’est cette volonté de s’unir des manteros. » Tous les ans, l’association recense les actes racistes dans tout l’Etat espagnol. La section Actuaciones policiales y abuso de poder (« Conduites policières et abus de pouvoir ») est truffée d’épisodes de tensions entre vendeurs ambulants et forces de l’ordre.
Depuis sa fondation le 10 octobre dernier, le syndicat est accueilli physiquement au sein de l’Espace de l’immigrant, une association du Raval, un quartier populaire et cosmopolite, séparé de l’hyper-centre touristique par Les Ramblas. « Ce syndicat leur appartient », insistent Rosa et Ulises. Depuis le mois d’août, ces deux activistes se relaient avec les autres membres de l’association pour épauler les manteros sur leurs lieux de travail. Une veille permanente rassure les vendeurs, comme Amadou : « C’est vrai que depuis qu’ils sont là, on se sent davantage soutenus. »
Régulariser leur situation
Amadou, 37 ans, est arrivé en Espagne avant la « crise » qui, selon lui, a affecté la tolérance envers la vente ambulante. Ce vendeur sénégalais est connu par ses pairs comme le premier mantero à avoir gagné un procès. « C’était il y a deux ans. Deux policiers en civil se sont mis à me courir après. J’ai lâché ma marchandise et j’ai pris la fuite. Lorsqu’ils m’ont rattrapé, j’ai reçu des coups au visage et partout sur le corps. Après ça, je n’avais plus rien à perdre et j’ai souhaité que justice soit faite. » Amadou, soutenu par un avocat de SOS racisme, gagne son procès, grâce notamment à une vidéo fournie par une passante espagnole. Ce jugement, en plus de sa vertu cathartique pour Amadou, a servi d’exemple pour le collectif de vendeurs, qui s’est habitué à dégainer les smartphones en cas d’affrontements avec la police.
En Espagne, ces vendeurs peinent à régulariser leur situation. Nombre d’entre eux alternent entre périodes d’irrégularité et titres de séjour provisoires. « Il faut sortir de ce cercle vicieux, résume Luciano, avocat, membre de l’équipe juridique de l’Espace de l’immigrant. La modification récente du code pénal (en juillet dernier, ndlr) complique un peu plus la vente ambulante non régularisée, désormais définie comme un délit. » Quant à la reconnaissance légale du syndicat, son collègue Mustafa, conseiller juridique, semble confiant : « Si on applique une interprétation ample de la Constitution (article 28), ce syndicat pourrait être reconnu. »
La mairie « indignée » de Barcelone a, de son côté, dit « voir d’un bon œil » la création du syndicat. De nombreux manteros, comme Aziz, croient d’ailleurs possible un dialogue. « Eux aussi ont eu affaire à la police », déclare le vendeur, en référence au passé d’activiste anti-expulsion de l’actuelle maire. Ce à quoi Luciano répond : « Malheureusement, ils ont les pieds et poings liés puisqu’ils gouvernent en minorité. » Depuis l’élection d’Ada Colau, en juin dernier, les édiles de l’opposition ont tenté de décrédibiliser son action sur plusieurs sujets dont, récemment, la vente ambulante.
Si, dès 2010, le film Biutiful avait fait la lumière sur les conditions de vie des personnes formant la chaîne de la vente ambulante à Barcelone, l’urgence d’un dialogue avec les collectivités locales se fait aujourd’hui ressentir. La création de ce « syndicat populaire » est pour l’instant un acte politique, symbolique. Mais si le collectif s’étend aux autres communautés dédiées à la vente ambulante, son action pourrait éveiller l’intérêt des institutions et, pourquoi pas, donner l’idée à d’autres manteros de par le monde.
Auteur: Fabien Palem – RFI