Pour rejoindre la Serbie, les ressortissants burundais doivent, depuis le 20 octobre, s’acquitter d’un visa. La mesure s’appliquera aussi aux Tunisiens dès le 20 novembre. La volte-face opérée par Belgrade, sous pression de l’UE depuis plusieurs semaines, pourrait compliquer l’exil des migrants concernés.
Belgrade change sa politique d’entrée dans le pays. À partir du 20 novembre, des visas seront exigés pour les citoyens tunisiens, et, dès à présent, pour les Burundais.
Cela fait plusieurs semaines que l’Union européenne (UE) et la Suisse font pression sur la Serbie, dont la politique des visas serait responsable de l’augmentation du nombre de migrants dans la zone. « J’espère que la Serbie et les autres pays partenaires des Balkans occidentaux vont coopérer avec nous et aligner leur politique de visas avec l’UE », avait déclaré la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson, lors d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur à Luxembourg, le 14 octobre.
« La Serbie [candidate à l’adhésion à l’UE depuis 2012 ndlr] doit adapter sa pratique en matière de visas à celle de l’UE si elle veut progresser dans la procédure d’adhésion », avait abondé la ministre allemande de l’Intérieur Nancy Faeser.
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Pour le Département fédéral de justice et police (DFJP) de Suisse, cette décision constitue donc un « succès pour la Suisse et d’autres pays (de l’espace) Schengen dans la lutte contre la migration irrégulière par la route des Balkans », écrit-il sur Twitter.
Oliver Varhelyi, commissaire européen à l’Élargissement et à la Politique européenne a salué, lui, « un pas important ». « J’espère que d’autres améliorations suivront bientôt », a-t-il ajouté.
Cette année, plus de 90 000 migrants ont traversé la Serbie dans le but de rejoindre l’Europe de l’ouest. En 2021, ils étaient un petit peu plus de 60 000. Une augmentation due, d’après l’UE, au régime de visas appliqué en Serbie, qui exempte du précieux sésame les Tunisiens, les Burundais, les Indiens, les Cubains et les Turcs.
Ensemble, ces ressortissants représentent 20 % des migrants passés par la route des Balkans occidentaux depuis janvier 2022. La grande majorité des personnes qui transitent par la Serbie ne sont donc pas des exilés exemptés de visas. La plupart sont originaires d’Afghanistan et de Syrie.
Plus de 20 000 Burundais passés en Serbie
Les conséquences de la décision serbe sont déjà concrètes pour les personnes concernées. D’après VOA Afrique, plus de 50 Burundais qui se rendaient en Serbie ont été refoulés lors de leur transit au Qatar et en Turquie, trois jours après la volte-face du gouvernement. Les compagnies aériennes opérant au Burundi ont été avisées et « avertissent désormais les voyageurs que les règles ont changé pour les vols à destination de la Serbie », indique encore VOA Afrique.
Depuis le 1er janvier 2022, plus de 20 000 ressortissants burundais ont pu entrer en Serbie sans visa pour ensuite se diriger vers d’autres États européens tels que la Belgique, la Suisse, ou l’Italie et y demander l’asile. Selon le journal belge La Libre, au cours des trois derniers mois de l’année 2022, le nombre de demandeurs d’asile burundais a été multiplié par huit en Belgique. Et jusqu’à 90 % d’entre eux avaient transité par la Serbie pour atteindre Bruxelles.
A l’intérieur même des frontières serbes, le Burundi est l’un des pays les plus représentés par les rares demandeurs d’asile en attente d’une protection dans le pays. En 2022, « sur les 272 demandes d’asile déposées jusqu’ici, 80 % l’ont été par des ressortissants burundais et cubains », affirme Nikola Kovačević, avocat spécialiste des droits humains. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), en 2021, sur 175 demandes, 29 étaient burundaises, soit la première nationalité représentée par les demandeurs d’asile.
Les Burundais fuient depuis de nombreuses années une situation économique et politique très difficile. En 2020, plus de 85 % de la population vivait sous le seuil de grande pauvreté, fixé à 1,90 dollar par jour. La même année, le pays se classait 185e sur 189 pays du classement de l’indice de développement humain. À cela s’ajoute une crise politique débutée en 2015 et qui ne cesse de s’enliser. D’ailleurs, malgré la volonté affichée du président Evariste Ndayishimiye de rapprochement avec l’Europe, l’UE a renouvelé ses sanctions à l’encontre de personnalités et entités burundaises jusqu’en octobre 2022, en raison des violations des droits de l’homme et d’incitations à la violence.
La Serbie, l’unique option
À des milliers de kilomètres de ce petit État d’Afrique des Grands Lacs, la Tunisie souffre des mêmes maux. Aux difficultés économiques qui minent le pays depuis près de dix ans s’ajoute un tour de vis autoritaire orchestré par le président Kaïs Saïed, qui s’est arrogé les plein pouvoirs et gouverne, depuis le gel du Parlement en juillet 2021, par décrets.
C’est pour fuir cette situation que Nawel*, une jeune tunisienne rencontrée par InfoMigrants mi-octobre dans un camp à la frontière hongroise, a quitté son pays. La future maman, enceinte de six mois, s’est engagée sur la route des Balkans il y a quelques semaines dans le but de rejoindre son mari installé en Espagne. Pour elle, passer par la Serbie, où elle était exemptée de visa, se présentait comme sa seule option face au refus d’autres pays européens de l’accueillir sur leur sol.
L’entrée par la Serbie désormais restreint, les candidats tunisiens à l’exil pourraient se tourner encore d’avantage vers la mer. La route de la Méditerranée centrale est déjà très empruntée par les Tunisiens : sur les 78 440 migrants débarqués en Italie cette année, 16 130 étaient originaires de ce pays. Les ressortissants tunisiens forment la seconde nationalité représentée chez les primo-arrivants, derrière les Égyptiens. Mais cette voie migratoire est aussi l’une des plus dangereuses au monde. Il y a un mois, un bateau a fait naufrage, au large de Zarzis. À son bord se trouvaient 18 personnes, dont deux femmes et un bébé.