La migration irrégulière est en hausse en Tunisie et plus de 13 000 migrants tunisiens sont arrivés sur les côtes italiennes depuis le début de l’année. Face à une situation économique difficile, la migration devient même un projet familial amplement partagé sur les réseaux sociaux. Mais cette pression migratoire affecte les politiques d’octroi de visa, de plus en plus restrictives.
En Tunisie, la migration irrégulière est en hausse, avec 18 % de départs supplémentaires par rapport à l’année dernière.
Au total, plus de 13 000 migrants tunisiens sont arrivés sur les côtes italiennes depuis le début de l’année. En cause, la situation économique qui se dégrade avec une inflation galopante, la flambée des prix et une situation politique incertaine. Si bien que la migration devient un projet familial, amplement partagé sur les réseaux sociaux.
Mais à cette problématique s’ajoutent des restrictions souvent arbitraires d’octroi de visa qui touchent de plus en plus de Tunisiens.
« Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui avec 20 dinars par jour ? »
Dans cette maison de Bouhajla où s’est rendu France 24, dans le centre-est du pays, des proches et voisins attendent le corps d’un disparu en mer. Père de deux enfants, l’homme fait partie des victimes du naufrage d’un bateau de candidats à l’exil, dont seule la moitié des passagers a pu être sauvée.
Dans la chambre, sa femme, Sabeh, trie des affaires : « Tout ça, ce sont ses vêtements, je ne sais pas ce que l’on va devenir… » Elle a vendu tous les meubles de la chambre à coucher pour financer une traversée clandestine à 1 600 euros. Elle et son mari ont pris ce risque pour améliorer leurs conditions économiques.
« Il travaillait à 20 dinars la journée, mais qu’est-ce que vous faites aujourd’hui avec 20 dinars par jour, une fois que vous avez acheté un paquet de couches et du lait ? Ça y est, c’est fini… Mon mari était travailleur journalier, parfois il travaillait en continu, parfois on ne l’appelait pas pendant dix jours, c’était trop précaire. »
Dans cette ville où le taux de pauvreté s’élève à 32 %, presque chaque famille voit partir un proche dans un bateau clandestin.
Hazem, 22 ans, a survécu au naufrage. Sans emploi stable, comme d’autres jeunes, il avait été séduit par l’image de réussite de ceux qui arrivent en Italie.
« Sur Facebook, on voit des jeunes partir, et au café tout le monde en parle, aussi bien les jeunes que les plus vieux », raconte-t-il. « Ce n’est plus juste un sujet entre jeunes du quartier, toutes les familles en parlent. »
« L’acte de traversée est en soi une réussite sociale »
Selon Wael Garnaoui, psychologue et auteur de la thèse « Harga et désir d’Occident au temps du jihad », la migration clandestine s’est banalisée dans les familles tunisiennes. Au total, près de 2 000 mineurs et plus de 600 femmes sont partis cette année.
« Ils partent en famille, car ils ont de la famille là-bas, ils ont des contacts là-bas, ils ont une communauté », explique le chercheur. « L’acte de traversée est en soi une réussite sociale, parce que c’est l’acte de fuir une situation sociale qui est considérée comme très compliquée et très chaotique. »
Cette pression migratoire affecte indirectement les politiques d’octroi de visa, de plus en plus restrictives. Une ingénieure ayant souhaité garder l’anonymat explique à France 24 avoir subi un refus de visa alors qu’elle avait été embauchée par une compagnie française avec une autorisation du ministère de l’Intérieur et des papiers en règle. « Lors du dépôt de mon dossier, je n’ai même pas pensé à ce refus. C’était vraiment choquant pour moi. »
La France a annoncé une normalisation des procédures de visa à la rentrée. Mais le sentiment de frustration gagne de nombreux Tunisiens voulant partir légalement.