Une centaine d’exilés, refoulés de Grèce, sont détenus dans un local insalubre situé à l’ouest de la Turquie, dans la province d’Izmir. Ce type de lieux de rétention, dans lesquels sont placés les migrants en attendant leur transfert dans d’autres centres et la mise en place de procédures de renvoi, s’offrent peu aux regards extérieurs. Cette fois, une enquête menée par un média turc donne un aperçu des conditions d’enfermement difficiles, voire illégales, qui y règnent.
Dans la province d’Izmir, à l’ouest de la Turquie, un lieu de rétention pour les exilés refoulés de Grèce est au cœur d’une investigation menée par Duvar, un média turc d’opposition au gouvernement d’Erdogan. Les conditions de vie y sont dépeintes comme très difficiles, voire illégales.
« Des centaines de réfugiés sont détenus dans des conditions inhumaines sur le toit d’une salle de mariage en face du département de police du district », décrit le média, qui a pu filmer des interactions avec quelques-uns des migrants.
Sur la vidéo, diffusée par la journaliste qui a mené l’enquête, les exilés lancent : « Vous avez quelque chose à manger ? », « Il y a des enfants avec nous », « Ils nous battent et nous aspergent de gaz lacrymogène ici ». Certains restent enfermés jusqu’à 15 jours dans la structure, selon plusieurs sources interrogées.
Parmi ces sources, un agent de sécurité du bâtiment. Celui-ci indique que 100 personnes se trouvent actuellement enfermées dans cet espace. « Ce nombre atteint parfois 350 », reconnaît-il.
Refoulées de Grèce
Depuis l’ouverture du site il y a sept mois, « 3 000 à 4 000 personnes sont venues ici et reparties », indique encore l’agent. L’activité du lieu est devenue particulièrement intensive ces trois derniers mois.
La majorité des retenus sont des personnes qui ont tenté d’entrer en Grèce, et ont été refoulées par les garde-frontières grecs vers la Turquie. Les pratiques de refoulement à la frontière gréco-turque, en particulier dans le région du fleuve Evros, font l’objet de dénonciations régulières de la part d’ONG et, plus récemment, de recours en justice de la part d’exilés eux-mêmes renvoyés.
Plus de 150 000 migrants empêchés d’entrer en Grèce depuis janvier selon les autorités
« L’entrée de 154 102 migrants en situation irrégulière a été évitée depuis le début de l’année », avait déclaré à ce sujet, le 4 septembre, Notis Mitarachi, ministre grec des Migrations, au quotidien Eleftheros Typos.
Plusieurs mineurs à l’intérieur
De nombreuses femmes avec enfants, ainsi que des mineurs non accompagnés, sont arrivés dans ce local de rétention d’Izmir ces dernières semaines. « C’est la première fois que je vois autant de jeunes enfants ensemble. Ce sont beaucoup des Palestiniens qui ne sont pas venus avec leurs familles », relate l’agent de sécurité cité dans l’enquête.
Au moins 25 mineurs non accompagnés y seraient détenus, selon l’avocate Gizem Metindağ, interrogée par le média, qui rappelle l’illégalité de l’enfermement de mineurs aux côtés d’adultes.
La nourriture est un autre enjeu majeur. « La municipalité leur fournit des sandwichs, mais ils n’ont aucune nourriture chaude ni rien de plus nutritif », décrit l’ONG Stockholm Center for Freedom, qui suit le dossier de près. Et ce, malgré les températures très froides que peut connaître la région en cette période.
Enfin, « ces personnes sont simplement gardées là-bas, sans accès à des avocats, et elles ne peuvent pas faire appel des décisions d’expulsion », commente Gizem Metindağ. « Les autorités doivent décider de leur expulsion dans les 48 premières heures de leur détention, conformément à notre constitution. Or, ce que nous voyons, c’est qu’ils sont détenus jusqu’à deux semaines. C’est une violation totale des droits des réfugiés. »
Accepter le rapatriement « pour éviter une détention indéfinie »
L’agent interrogé par le média turc donne plus de détails sur la procédure. « Après être restés ici pendant un certain temps, nous les envoyons à Harmandali au centre de rapatriement. De là, ils sont expulsés dans leur propre pays », déroule-t-il.
Ce centre d’Harmandali, antichambre des expulsions, comprend 750 places, réparties dans les deux blocs du bâtiment, décrit un rapport de l’ONG suisse Global Detention Project, paru fin 2019. Les observateurs extérieurs ont, au fil des années, produit des comptes-rendus mitigés sur cette structure, rappelle l’ONG : tantôt saluant quelques améliorations des conditions d’enfermement, tantôt relayant des récits de maltraitances, y compris de violences sexuelles subies par les femmes qui s’y trouvent.
De manière générale, dans les lieux de rétention comme à Izmir, ou dans les centres de rapatriement comme à Harmandali, les migrants se trouvent empêchés de « communiquer avec le monde extérieur, y compris avec les membres de leur famille et leurs avocats », signale l’ONG. De ce fait, nombreux sont ceux qui « acceptent d’être rapatriés pour éviter une détention indéfinie ».
Une législation peu protectrice pour les demandeurs d’asile non-européens
Au vu de cet accès aux droits restreint, certains responsables politiques européens comme Tineke Strik, députée néerlandaise de la gauche écologiste, estiment que la Turquie ne peut pas être considérée comme un pays sûr pour les migrants. « Le plus gros problème avec la Turquie est qu’elle n’est pas liée à la Convention sur les réfugiés lorsqu’on parle de réfugiés non-européens », rappelle l’eurodéputée, dans une interview accordée à l’ONG Stockholm Center for Freedom.
En effet, si la Turquie a signé la Convention de Genève qui régit le statut de réfugié en 1951, elle n’en a pas adopté toutes les mises à jour. Elle continue ainsi d’appliquer la « limitation géographique », qui restreint l’application de la Convention aux seuls migrants européens. Cette restriction avait pourtant été modifiée dès 1967.
« Si les dirigeants de l’Union européenne envisagent de prolonger leur coopération avec la Turquie, ils doivent être très au clair sur ce qui se joue en matière de droits humains », souligne l’eurodéputée, en référence à l’accord liant l’Union européenne et la Turquie depuis 2016.