Lors d’une audience au tribunal administratif de Lille mardi, le rapporteur public a estimé que l’arrêté préfectoral qui interdit depuis deux ans aux associations de distribuer des repas dans le centre-ville de Calais était « disproportionné ». Paul Groutsch a demandé son annulation, affirmant que les arguments portés par les autorités étaient infondés. Le texte a, selon lui, « pour effet de compliquer l’accès pour ces populations précaires à des biens de première nécessité ».
Les associations calaisiennes vont-elles finalement être entendues ? Mardi 20 septembre, une audience au tribunal administratif de Lille, dans le nord de la France, leur a donné bon espoir. Une dizaine d’organisations d’aide aux migrants – dont le Secours catholique, Médecins du Monde ou encore l’Auberge des migrants – ont saisi la justice pour contester l’arrêté anti-distribution alimentaire des migrants dans le centre-ville de Calais pris par la préfecture du Pas-de-Calais.
Depuis septembre 2020, un texte préfectoral interdit aux associations non mandatées par l’État de distribuer des repas aux exilés vivant à Calais. Le document est depuis deux ans reconduit tous les mois, à l’exception d’une période de trois mois cet été où il a été suspendu. Lundi 19 septembre, la veille de l’audience au tribunal, l’arrêté n’a pas non plus été renouvelé, jusqu’à nouvel ordre.
Pour les autorités, cette interdiction se justifie afin de « mettre fin aux troubles à l’ordre public [occasionnés lors des distributions, selon le préfet, ndlr], limiter les risques sanitaires liés à des rassemblements non déclarés » et lutter contre « l’insalubrité publique » causée par les déchets laissés sur place après les repas.
Autant d’arguments balayés mardi par le rapporteur public du tribunal administratif de Lille, qui a jugé l’arrêté « disproportionné » et a demandé son annulation. Selon Paul Groutsch, « les troubles établis à l’ordre public sont épars, ponctuels, sans caractère de gravité et non liés à la distribution ». En ce qui concerne la menace sanitaire, il note que les associations font preuve d’un « degré élevé de préoccupation » sur le sujet, en donnant des masques notamment.
La question de la salubrité publique a en revanche été reconnue mais la « simple mise en place de bennes à proximité » permettrait de remédier au problème.
Les distributions de nourriture de l’État « quantitativement insuffisante[s] »
Le rapporteur public a en outre estimé que les distributions de nourriture assurées par la seule association habilitée par l’État, la Vie active, était « quantitativement insuffisante[s] » vu « le nombre de migrants présents à Calais – environ un millier d’après les ONG. Ainsi, les exilés dépendent « directement des associations requérantes », pourtant entravées dans leur action humanitaire. En clair, l’arrêté anti-distribution a « pour effet de compliquer l’accès pour ces populations précaires à des biens de première nécessité », rappelle Paul Groutsch.
Comme le stipule le quotidien Libération, le rapporteur public a simplement « rappelé [un] principe : quand on limite une liberté, il faut que cette limitation soit justifiée, adaptée et proportionnée. Pas le cas ici, selon lui ».
Les associations ne peuvent que saluer le constat apporté par Paul Groutsch. « Nous avons le sentiment d’avoir été entendus par le rapporteur public qui est allé dans notre sens. Sans les distributions des associations non mandatées par l’État, des personnes n’auraient ni à boire ni à manger » à Calais, a réagi auprès de l’AFP Juliette Delaplace du Secours Catholique.
Mais les humanitaires restent néanmoins prudents. « Les signaux sont certes positifs mais il est un peu tôt pour crier victoire », déclare à InfoMigrants Pierre Roques de l’Auberge des migrants. « Nous verrons dans quelques semaines. »
La décision du tribunal administratif de Lille devrait en effet être rendue d’ici deux à trois semaines. Les conclusions du rapporteur public n’ont pas valeur de jugement. Il appartient aux juges qui statuent sur l’affaire de décider s’ils suivent ou non ses propositions.
Ce n’est pas la première fois que l’arrêté est contesté devant les tribunaux. Saisi en référé liberté en septembre 2020, lors de la mise en place de cette mesure, le tribunal administratif de Lille avait rejeté la demande de suspension des associations, constatant notamment que l’association mandatée par l’État La Vie Active distribuait de l’eau et des repas. Les associations avaient alors déposé un recours devant le Conseil d’État, en vain.