À partir du 1er septembre, de nombreux ressortissants de pays tiers ayant fui la guerre en Ukraine se retrouvent dans l’illégalité en Allemagne. La mesure provisoire qui les autorisait à rester sur le territoire sans visa arrive à expiration. Beaucoup sont dans l’incertitude et risquent l’expulsion s’ils n’ont pas pu déposer une demande de visa d’étudiant ou de travail. Une situation injuste, selon les associations.
Ils ont fui la guerre en Ukraine, mais ils devront peut-être bientôt retourner dans leurs pays d’origine. De nombreux ressortissants de pays tiers voient leur statut de protection temporaire en Allemagne expirer ce jeudi 1er septembre. S’ils n’ont pas réussi à déposer une demande de visa avant le 31 août, ils sont donc techniquement dans l’illégalité. Mais les obstacles aux demandes de visa étudiant ou de travail sont nombreux.
Dans les six mois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, plus de 300 000 non-Ukrainiens ont fui le pays, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). Parmi eux, environ 18 000 avaient rejoint l’Allemagne au 5 juin 2022. Certains, entre autres les résidents permanents en Ukraine, ont pu bénéficier de la protection temporaire jusqu’à trois ans accordée aux ressortissants ukrainiens. Les autres, étudiants ou travailleurs notamment, pouvaient résider légalement en Allemagne sans visa jusqu’au 31 août seulement.
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« À partir d’aujourd’hui, ces personnes ont besoin d’un permis de séjour ou d’un récépissé de demande pour rester ici. Mais pour demander un titre de séjour, elles devaient bien sûr remplir les critères, ce qui n’était pas possible pour la plupart des gens », explique Timmo Scherenberg du Hessischer Flüchtlingsrat, une organisation basée à Francfort qui rassemble les groupes d’aide aux réfugiés dans l’État fédéral de Hesse.
En effet, les critères exigés pour obtenir un titre de séjour en tant qu’ étudiant ou travailleur étranger sont difficiles à atteindre. Intégrer l’université requiert une maîtrise de l’allemand et une preuve de moyens financiers suffisants.
« Je dois avoir presque 11 000 € sur mon compte bancaire pour prouver que je suis capable de subvenir à mes besoins pendant mes études, ce qui était un premier obstacle », explique Jaafar Rezrazi, un étudiant d’architecture marocain de 24 ans. En mars 2022, il a dû fuir la ville portuaire ukrainienne d’Odessa, avec pour seul bagage un petit sac à dos, et s’est installé à Marburg, dans l’État de Hesse. « Après ça, j’ai voulu commencer un apprentissage, mais je devais avoir une bonne connaissance de l’allemand. J’ai essayé de postuler à de nombreux petits boulots, mais il y avait toujours l’obstacle de la langue. »
En dernier recours, Jafaar Rezrazi a été accepté pour un poste dans un entrepôt d’Amazon, à une centaine de kilomètres de la ville où il habite. Il a envoyé le contrat aux autorités le 31 août, jour de la fin du statut de protection temporaire, pour demander un visa de travail. « Mais ils m’ont répondu que mon travail devait être dans mon domaine d’études : c’était un choc total pour moi », dit-il.
« Les barrières à l’obtention d’un permis de séjour sont élevées, les procédures sont longues et beaucoup n’y sont pas encore arrivés », déplore Wiebke Judith, responsable de la politique et du plaidoyer à l’ONG ProAsyl. « Ils n’ont pas non plus eu assez de temps pour évaluer leurs options dans d’autres pays d’Europe ».
Une question de volonté
Quelles seraient des solutions plus durables ? Les États fédéraux de Berlin, Brême et Hambourg ont d’ores et déjà adopté une nouvelle solution temporaire pour les étudiants étrangers venus d’Ukraine : ils recevront un permis de séjour provisoire de six mois. De quoi leur donner « le temps de respirer », estime Wiebke Judith. Dans les 13 autres États en revanche, aucune mesure n’a encore été prise.
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Pourtant, si l’Allemagne a pu accueillir 900 000 Ukrainiens en quelques mois à peine, elle devrait pouvoir offrir le même accueil à quelques milliers de ressortissants étrangers, raisonne la responsable du plaidoyer de ProAsyl : « L’Allemagne a les moyens de le faire, si elle en a la volonté ».
« C’est injuste, nous voulons simplement avoir un avenir : trouver un endroit pour étudier, pour travailler, avoir une meilleure vie », déplore Badr, un marocain de 21 ans qui étudiait la médecine dentaire à Kharkiv. Une semaine après le début de l’invasion russe, il a dû fuir « dans des circonstances épouvantables : mon seul souci était de rester en vie ».
Des projets de vie anéantis
Comme Badr, parmi les ressortissants étrangers ayant fui la guerre se trouvent de nombreux étudiants internationaux, dont un grand nombre originaire d’Afrique subsaharienne. Beaucoup craignent de ne pas pouvoir achever leurs études supérieures s’ils sont forcés de rentrer dans leurs pays d’origine.
« Mes parents ont tout investi dans mes études, et maintenant à cause de la guerre, j’ai tout perdu », raconte Badr. Pour étendre son séjour en Allemagne, il a déposé une demande de protection à long terme, arguant qu’il ne peut pas survivre financièrement au Maroc. Son récépissé expire le 3 décembre, lui laissant un peu plus de temps pour déposer une demande de titre de séjour. Mais les conditions dans le camp de réfugiés où il loge sont difficiles. « Nous sommes 12 dans une chambre. C’est très bruyant, je ne peux pas dormir. Dans ces conditions, c’est très dur d’apprendre l’allemand », dit-il.
Début avril, le Conseil de l’Europe s’était alarmé, dans un rapport, de l’accueil « deux poids, deux mesures » vis-à-vis des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants en fonction de leur pays de provenance.
Badr, lui, espère pouvoir continuer ses études, et rentrer en Ukraine quand la guerre sera terminée. « Si je retourne au Maroc, je ne pourrai pas travailler et faire ma vie là-bas. Je voulais m’intégrer dans la vie ukrainienne, ouvrir un cabinet dentaire : c’est mon rêve d’être dentiste. Pour l’instant, j’essaie d’avoir un futur meilleur en Allemagne », espère-t-il.
L’absence de solutions durables pour beaucoup d’étudiants étrangers « signifiera que non seulement la guerre a détruit leurs projets de vie, mais l’Europe et l’Allemagne ne leur ont pas permis de s’accrocher à quelque chose », regrette Wiebke Judith. « Ça représente la fin de beaucoup d’espoirs et de rêves ».