Dans le cadre d’un accord visant à obtenir le soutien du gouvernement turc pour leur demande d’adhésion à l’OTAN, la Suède et la Finlande ont promis de faciliter les extraditions vers la Turquie. La large communauté kurde et les opposants turcs en exil craignent une persécution politique.
L’inquiétude gronde au sein de la communauté kurde en Suède et en Finlande, depuis que les deux pays nordiques ont conclu un accord avec le gouvernement turc. L’accord signé le 28 juin ouvre la voie à l’entrée rapide des deux pays dans l’alliance militaire de l’Otan, à laquelle la Turquie s’opposait. Une clause en particulier préoccupe : les pays nordiques s’engagent à faciliter les extraditions de présumés « terroristes », qui pourraient inclure de nombreux membres de groupes politiques opposés au régime d’Erdogan.
« Dans toutes les extraditions, nous suivrons le droit suédois et international. Ce qui est dans l’accord, c’est quelque chose que la Suède fait déjà », a tenté de rassurer la Première ministre suédoise Magdalena Andersson en juin. « Je sais que certaines personnes craignent qu’on se mette à les chasser et à les expulser, et je pense qu’il est important de souligner que nous travaillons toujours conformément à la loi suédoise et aux conventions internationales en vigueur, » a-t-elle déclaré à la télévision suédoise.
Sans beaucoup d’effet : dès le lendemain de l’accord, le 29 juin, la Turquie a présenté à Helsinki et à Stockholm une liste de 33 demandes d’extradition, qui concerneraient des personnes liées au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et au mouvement Gülen. Depuis, le président Erdogan a déclaré que la Suède avait « promis » d’extrader 73 personnes.
Le PKK est classé comme un groupe terroriste par l’Union européenne (UE), mais ce n’est pas le cas du mouvement Gülen, désigné par Erdogan comme l’instigateur d’une tentative de coup d’État en juillet 2016. Parmi les personnes réclamées par Ankara se trouvent notamment plusieurs journalistes en exil dont l’un, Ragip Zarakolu, était pressenti pour le Prix Nobel de la Paix en 2012. « J’ai été le premier journaliste à parler de la question kurde et du génocide arménien, et j’ai été poursuivi pour cela », explique-t-il dans un entretien avec Middle East Eye. Réfugié en Suède depuis 2013 et maintenant détenteur de la nationalité, son extradition a été rejetée par la Cour suprême suédoise.
Bras-de-fer politique
En tant que membre de l’Otan, la Turquie possède un droit de veto sur les nouvelles admissions dans l’alliance, que les pays nordiques souhaitent intégrer rapidement face aux menaces de la Russie. Une position de pouvoir pour le président Erdogan, qui a également exigé que la Suède et la Finlande cessent tout soutien aux mouvements kurdes qui se battent contre l’organisation État islamique en Syrie.
« Comment pouvons-nous danser au rythme d’un tel régime ? La Suède cherche le soutien d’une dictature pour se protéger d’une autre », a déclaré la députée suédoise d’origine iranienne kurde Amineh Kakabaveh, dans une interview avec le journal The Local. Elle-même s’est vue accolée l’étiquette de terroriste par Ankara.
Le gouvernement suédois a ainsi annoncé début août une première extradition : Okan Kale, un homme condamné en Turquie pour fraude à carte de crédit, qui figurait sur la liste de personnes recherchées par Ankara. Un effort insuffisant pour la Turquie : « S’ils pensent qu’en extradant des criminels ordinaires vers la Turquie, ils nous feront croire qu’ils ont tenu leurs promesses, ils se trompent », a déclaré le très conservateur ministre de la Justice, Bekir Bozdag. « Personne ne doit tester la Turquie » assure-t-il.
Des demandeurs d’asile « très inquiets »
Un autre Kurde, Mehmet (Znar) Bozkurt, 26 ans, a été arrêté le 19 août et est menacé de renvoi vers la Turquie suite à un rejet de sa demande d’asile. Plusieurs membres de la communauté kurde estiment que sa détention est liée à l’accord avec Ankara, en raison de son passé comme membre du Parti démocratique des peuples (HDP), lorsqu’il avait 14 ans. Le HDP, principal parti pro-kurde et la troisième force politique du pays, est menacé de dissolution. « Le nom de Mehmet Bozkurt n’est pas sur la liste initiale des 33 extraditions demandées, mais on ne sait pas s’il est sur l’autre liste de 73 personnes », tempère son avocat, Miran Kakaee.
Désespéré, Mehmet Bozkurt mène depuis 11 jours une grève de la faim. « Il a également arrêté de boire de l’eau. Mais il garde espoir », déclare l’avocat. Son expulsion a pu être suspendue, et sa demande d’asile est en réexamen suite à des articles parus dans la presse turque qui le qualifient de « terroriste ». « J’espère que l’Office national des migrations conclura qu’il ne peuvent pas le renvoyer en Turquie ».
Lui-même d’origine kurde, l’avocat Miran Kakaee comprend l’inquiétude ressentie par les plus de 100 000 exilés et membres de la diaspora vivant en Suède. « Si vous êtes Kurde et que vous avez été politiquement actif, il y a de réelles craintes », dit-il à InfoMigrants. « Beaucoup de mes clients m’ont contacté pour savoir si cet accord allait les impacter ou impacter leurs demandes d’asile. Ils sont très inquiets. »