L’association Josoor a annoncé, mercredi, sa dissolution après deux ans et demi d’activité. Spécialisée dans l’aide aux migrants victimes de refoulements à la frontière gréco-turque, l’organisation basée en Turquie dénonce un sentiment « anti-migrants » de plus en plus fort et l’acharnement des autorités turques comme grecques.
« Que vont devenir toutes les personnes qui reviennent ? Il n’y a personne pour eux ici. » La question, posée par une migrante qui se trouve en Turquie, est sur toutes les lèvres. Parmi les exilés dans le pays, ou bien y sont passés, l’annonce, mercredi 17 août, de la dissolution de l’association Josoor (dont le nom signifie « des ponts » en arabe), basée en Turquie, a été un choc.
Après deux ans et demi d’action, les membres de Josoor ont estimé qu’ils ne pouvaient plus remplir leur mission d’assistance aux migrants victimes de refoulements par la Grèce et la Bulgarie, et renvoyés en Turquie. Ils s’en sont expliqués dans une longue déclaration publiée sur le site Internet de l’organisation.
Parmi les raisons justifiant la décision de la dissolution, Josoor souligne tout particulièrement la dégradation du climat politique turc. Dans ce pays qui accueille plus de 4 millions de réfugiés, le climat anti-migrants et anti-étrangers s’est accru au cours des dernières années.
« L’année 2020 a été celle d’une escalade de l’échec de l »accord UE-Turquie et a marqué le début d’une nouvelle ère d’anarchie aux frontières extérieures de l’UE avec la Turquie », déplore l’organisation.
Lois restrictives
Josoor explique également avoir eu, au fil des années, de plus en plus de mal à obtenir des permis de séjour pour ses bénévoles, tant en Turquie qu’en Grèce.
La dégradation de la situation des exilés en Turquie passe aussi par une série de nouvelles lois, permettant de multiplier les expulsions. En 2021, Ankara a adopté un texte « qui interdit le franchissement illégal d’une frontière pour avoir tenté de quitter la Turquie ».
L’année suivante, ce sont des zones entières du pays qui deviennent interdites aux étrangers, forçant Josoor à réduire drastiquement ses activités. « L’atmosphère du pays, complètement abandonné par la communauté internationale, malmené pendant des décennies par Bruxelles, et maintenant écrasé par la crise économique, fait qu’une grave escalade de la situation semble si imminente que nous ne pouvons plus porter la responsabilité d’assurer une sécurité suffisante à notre équipe, en particulier à ceux qui n’ont pas de passeports privilégiés, ainsi qu’aux personnes que nous soutenons », met en garde l’association.
Criminalisation des défenseurs des droits de l’Homme et journalistes
Dans sa déclaration, Josoor fait aussi le constat d’une politique européenne migratoire de plus en plus basée sur la répression et l’intimidation. « Ces dernières années, cette érosion de l’État de droit s’est intensifiée et s’est étendue des frontières [de l’Union européenne] jusqu’à l’intérieur des terres. À la criminalisation des exilés s’est ajoutée une criminalisation, non seulement des défenseurs des droits de l’Homme, mais aussi des journalistes, des avocats, des médecins et d’autres personnes », déplore l’organisation.
Exemple de ce que Josoor qualifie de « guerre contre la migration » : les autorités grecques ont ouvert trois fois des enquêtes criminelles contre l’organisation. Natalie Gruber, co-fondatrice et porte-parole de Josoor, avait expliqué au Wall street journal, en août 2021, avoir découvert dans la presse que Josoor était visé par une enquête. À cette époque, « l’organisation n’avait pas encore été contactée par la police grecque ou un procureur ».
Mais la pression des autorités avait eu un impact sur l’exercice de l’association. Selon Natalie Gruber, plusieurs membres avaient quitté la structure de peur d’être poursuivis et certains donateurs avaient annulé leurs dons.
En juillet 2021, au terme d’une enquête de plusieurs mois menée par les polices et les autorités de Lesbos, Chios et Samos, en collaboration avec les services de renseignement grecs, dix personnes, membres d’associations d’aide aux migrants, avaient été accusées d’avoir « facilité l’entrée » en Grèce de migrants venant des côtes turques, de violation du code de l’immigration et d’espionnage.
Le président du Greek Council for refugees Vasilis Papadopoulos avait alors dénoncé de fausse accusations. Selon lui, la Grèce cible les ONG ayant révélé « les activités honteuses des autorités grecques contre les migrants en Grèce », notamment les « pushbacks » en mer Égée, relayées à plusieurs reprises par la presse internationale.
Des journalistes grecs travaillant sur les questions migratoires ont également été mis sous surveillance. Cela a été le cas de Stavros Malichudis, journaliste pour le média d’investigation en ligne Salomon, rapportait en décembre dernier la Deutsche Welle. « Le gouvernement en général n’apprécie pas que les gens fassent des reportages sur les questions liées à la migration, en particulier sur la façon dont le gouvernement gère la migration en Grèce », avait déclaré le journaliste à DW.
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses organisations et journalistes ont réagi à l’annonce de la dissolution de Josoor, déplorant « un jour très triste pour les droits humains ».
« Tous les gouvernements parlent des ‘bonnes ONG’ et les opposent aux ‘mauvaises’, a déclaré sur Twitter le correspondant en Grèce du magazine allemand Der Speigel. Félicitations aux gouvernements grec et turc qui ont réussi à fermer l’une des meilleures d’entre elles. »