Des travailleurs sans-papiers et des associations ont manifesté, mercredi, à Bobigny, en région parisienne, contre l’impossibilité de prendre rendez-vous en préfecture pour déposer un dossier de régularisation. La dématérialisation des procédures en préfecture empêche depuis des années des centaines d’employés du bâtiment, du nettoyage ou de la restauration de sortir de l’irrégularité.
« Préfets, ouvrez vos guichets ! », ont scandé, mercredi 16 février, les centaines de personnes qui ont manifesté, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), derrière la banderole du collectif « Bouge ta préfecture ». De nombreux travailleurs sans-papiers ont pris part au cortège, accompagnés de membres de la CGT, du Secours catholique et de la Ligue des droits de l’Homme.
Bilalé Konté travaille dans le bâtiment depuis 2017. Ce Malien de 42 ans, arrivé en France en 2015, a même décroché un contrat à durée indéterminée (CDI) et son employeur a accepté de lui remettre le document nécessaire à sa régularisation. Sans que son sourire ne le quitte, Bilalé Konté explique que son dossier de régularisation est prêt depuis le mois d’août dernier mais impossible de le déposer en préfecture. Le Malien n’a encore trouvé aucun rendez-vous disponible.
C’est aussi le cas de Souleimane qui travaille depuis trois ans dans un restaurant, sous l’identité de son frère. Aux côtés des travailleurs de la société Sépur, le jeune homme chante à plein poumons les slogans de la manifestation. Fatou lui tient le bras. Elle est, elle aussi, bloquée dans l’irrégularité, faute d’obtenir un rendez-vous en préfecture. En France depuis 8 ans, elle a dû cesser de travailler quand son titre de séjour n’a pas été renouvelé. « J’en ai déjà eu plusieurs », précise cette Ivoirienne.
Depuis novembre 2020, elle tente de prendre rendez-vous pour retrouver une situation régulière en France. « Avant, je me levais à minuit, une heure du matin, pour tenter d’avoir un rendez-vous. Maintenant, j’ai arrêté, je suis épuisée », souffle-t-elle, un drapeau de la CGT à la main.
« Mise à distance des personnes »
L’impossibilité de prendre un rendez-vous en préfecture est le résultat de la stratégie de dématérialisation des procédures mise en place depuis 2019 par le gouvernement. Les personnes qui souhaitent déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour doivent prendre rendez-vous en ligne. Mais le service est constamment saturé et donc inaccessible.
« Sous couvert de crise sanitaire, de volonté de modernisation et de gain en efficacité, c’est en fait une mise à distance des personnes par les services publics qui est en train de s’opérer. C’est même devenu une des sources majeures des difficultés d’accès aux droits », estimait en février 2021 Lise Faron, responsable de la Cimade, spécialiste des questions liées au droit au séjour, contactée par InfoMigrants.
Pour Jean-Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale de la CGT à Bobigny, il y a une « volonté politique avérée [de compliquer l’accès à a régularisation] sur la base de l’argumentaire de l’appel d’air ». « Mais les gens sont là, de fait », s’agace le responsable qui voit, chaque semaine, grossir le nombre des travailleurs sans-papiers aux permanences de la CGT.
Des associations mobilisées
La mobilisation de ce mercredi n’est pas la première. Depuis 2020, associations de défense des droits des étrangers et collectifs de sans-papiers dénoncent des pratiques qui « fabriquent des sans-papiers ».
En mars 2021, la Cimade, le Secours catholique, la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France (SAF) avaient assigné en justice cinq préfectures – Hérault, Ille-et-Vilaine, Rhône, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne – qui imposent la prise de rendez-vous en ligne pour les étrangers en demande ou en renouvellement de titre de séjour.
En décembre 2020 et janvier 2021, des manifestations avaient également été organisées devant plusieurs tribunaux administratifs. Mais malgré ces mobilisations, la situation n’évolue pas. Et la situation n’est pas limitée à Bobigny.
« Circulaire de moins en moins appliquée »
« Mon sentiment c’est que l’admission exceptionnelle au séjour est bloquée presque partout, estime Jean-Michel Delarbre, membre de la Ligue des droits de l’Homme et du Réseau éducation sans frontière dans le 93. La dématérialisation a permis de rendre ça plus discret. Mais on constate depuis plusieurs années que la circulaire de 2012
est de moins en moins appliquée. Il n’y a presque plus de rendez-vous en préfecture donc la régularisation est beaucoup plus difficile et beaucoup plus longue. » Régularisation : « L’administration est un mur impénétrable qui me fait sentir comme un criminel »
De fait, le nombre de personnes régularisées a chuté de 11 % entre 2020 et 2021. Entre 2019 et 2021, c’est même une diminution de 22 %.
Pourtant, les travailleurs sans-papiers sont souvent des travailleurs essentiels, célébrés lors du premier confinement du printemps 2020. « Le Covid avait mis en lumière ces invisibles qui ont contribué à faire tourner le pays. La suite logique aurait été de permettre leur régularisation. En les reniant, l’État signe le profond échec d’une politique d’inclusion sociale », a dénoncé Marilyne Poulain, chargée des travailleurs sans papiers à la CGT, interrogée par Le Monde.
Mercredi, la Défenseure des droits a dénoncé la dématérialisation des procédures dans un nouveau rapport et souligné que les personnes étrangères étaient parmi les plus affectées. Parmi ses recommandations, elle appelle à garantir un égal accès aux services de la préfecture à tous les étrangers « quelle que soit leur situation administrative ».
Trois cent organisations, dont la Cimade et la Fédération des acteurs de la solidarité, ont signé un Manifeste jeudi pour dénoncer les dérives de la dématérialisation des procédures. « Nous exigeons un service public humain et ouvert à ses administrés, qui fonctionne pour toutes et tous et ne sacrifie personne ! », écrivent les auteurs.