La Hongrie est le second pays à accueillir le plus de déplacés d’Ukraine, après la Pologne. Pourtant, le gouvernement de Viktor Orban est aux abonnés absents et la prise en charge des exilés repose quasi-exclusivement sur la société civile. Dans la capitale hongroise, une grande partie de l’accueil se fait chez des familles volontaires.
Julia Dumont, envoyée spéciale en Hongrie
Kamila ne veut plus marcher toute seule. La petite fille de trois ans est épuisée et se met à pleurer dès que ses parents la posent au sol. Mohammed, un Égyptien installé en Ukraine depuis huit ans, sa femme ukrainienne Alona et leurs deux enfants sont arrivés, dimanche 6 mars, à la gare de Budapest, après trois jours de voyage depuis Kharkiv.
« Je ne sais pas ce qu’on va faire maintenant, confie le père de famille, originaire du Caire. Je n’avais jamais pensé vivre ça un jour dans ma vie. C’est la première fois que je ressens une telle inquiétude. Je comprends ce que les gens vivaient en Syrie. » Comme à Zahony, dans l’est du pays à la frontière avec l’Ukraine, l’accueil des déplaces est géré dans la capitale par des bénévoles. Le gouvernement de Viktor Orban, engagé depuis 2015 dans une politique radicalement anti-migrants, laisse, depuis le début du conflit, la société civile gérer l’afflux des réfugiés.
Et à Budapest, la tâche est ardue : les exilés restent plus longtemps dans la capitale que dans les villages frontaliers, le temps de se reposer et de trouver un point de chute définitif, en Hongrie ou ailleurs.
Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, des centaines de personnes transitent chaque jour par la grande gare de Budapest-Nyugati, dans l’ouest de la ville. Des distributions y ont été mises en place dans une salle annexe au grand hall vitré. Sous les lustres et les moulures, des organisations locales fournissent de la nourriture, des produits d’hygiène et des vêtements.
À l’extérieur de la gare, des Hongrois proposent aux déplacés des places d’hébergement. De l’autre côté de la rue, le parti politique parodique MKKP (Magyar Kétfarkú Kutya Párt, littéralement Parti hongrois du chien à deux queues) a installé une grande tente et y propose des vêtements, des produits d’hygiène et du matériel pour bébé. Mohammed a pu y récupérer une poussette pour Yassine, son benjamin de 11 mois.
L’association Migration aid, installée devant la gare, a trouvé une place d’hébergement en banlieue proche de Budapest pour la famille de Mohammed. Un chauffeur bénévole peut aussi venir les chercher.
Des centres d’accueil fermés
Créée en 2015, lors de la vague d’arrivées de migrants en Europe de l’est, Migration aid a repris du service auprès des déplacés d’Ukraine et coordonne aujourd’hui les Hongrois qui se portent volontaires pour héberger des déplacés quelques jours chez eux. « Il nous a semblé que c’était cela le plus nécessaire. Les autres associations font déjà des distributions et n’étaient pas prêtes à gérer cela », explique András Siewert, fondateur et directeur de l’association. L’organisation avait dénombré, début mars, quelque 800 places d’hébergement disponibles dans toute la Hongrie.
« Pendant des années, le gouvernement a délibérément fermé les centres d’accueil du pays l’un après l’autre. Il n’en reste que deux mais ils ne sont pas utilisés pour accueillir les gens d’Ukraine », détaille Gruša Matevžič, juriste au sein du Hungarian Helsinki Committee, une organisation de défense des droits humains fondée en 1989.
« Au début [du conflit, le 24 février] rien n’a été mis en place. C’est la société civile, les églises, les municipalités qui ont mis à disposition leurs salles, leurs écoles, les campus d’université etc., pour les déplacés. Le gouvernement a finalement mis en place l’option de loger les gens via un dispositif d’urgence. On ne sait pas combien de places cela représente. Mais l’État a l’obligation de fournir une place d’hébergement à une personne qui le demande ».
Après environ 30 minutes d’attente, un jeune Hongrois vient chercher Mohammed, Alona, leurs enfants et leurs bagages à la gare, direction la proche banlieue de Budapest où Christopher Belluzi et sa femme les attendent. Ce couple américano-hongrois va leur laisser la maison de famille, inutilisée pour le moment. Mohammed et Alona ne sont pas les premiers à en bénéficier. Une famille nigériane vient de partir.
Dans la voiture, Kamila s’est finalement endormie dans les bras de son père. À leur arrivée à la maison, il la dépose sur un lit, son anorak rose encore sur le dos. La petite fille peut enfin se reposer pendant que Christopher et son fils, Benjamin, 2 ans, font visiter la maison. Tendue à la gare, Alona semble se détendre en découvrant la maison.
« Assiettes » et « verres »
Marton Illes et Adrienn Cservevek ont, eux aussi, choisi d’ouvrir leurs portes aux personnes fuyant la guerre en Ukraine. Ils ont déjà accueilli des personnes par le biais de Migration aid mais, en ce début du mois de mars, c’est Ina, une Ukrainienne qui travaillait, à Kiev, pour le même cabinet de conseil qu’Adrienn qui vit chez eux avec son fils.
Autour de leur table de salle à manger, le couple hongrois évoque son envie d’aider autant que possible les Ukrainiens qui arrivent en Hongrie mais aussi les difficultés auxquelles les hébergeurs sont confrontés. Ce soir-là, Ina, leur hôte a reçu de mauvaises nouvelles de sa famille restée au pays. Traumatisée par ce qu’elle a vécu et inquiète pour les siens, elle a préféré quitté le salon pour s’isoler dans sa chambre. « [Dans ce genre de situation], vous ne savez pas quoi dire. Vous ne pouvez pas dire que vous comprenez, c’est impossible », explique Marton qui se rend presque chaque soir à la gare de Budapest-Nyugati pour aider les déplacés à s’orienter.
Leur fils de 7 ans, lui, se lasse de trouver des personnes en train de dormir dans le salon quand il se lève le matin. Adrienn et Marton admettent qu’ils devront de temps en temps cesser d’accueillir des personnes. « C’est un marathon, pas un sprint », compare le père de famille.
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Sur les 2 millions de personnes qui ont déjà quitté l’Ukraine, au moins 180 000 sont arrivées en Hongrie. La plupart ont un endroit où aller, des connaissances quelque part en Europe qui peuvent les accueillir pour un temps. Dans quelques semaines, ce ne sera peut-être plus le cas et les personnes arrivant en Hongrie auront alors besoin d’hébergement beaucoup plus long. Il faudra des Hongrois pour les accueillir.