Plusieurs semaines après les annonces sur la suspension des vols vers l’Afghanistan, et les évacuations médiatisées depuis Kaboul, la réalité du terrain est critique. Les enfermements de ressortissants Afghans en centre de rétention administrative (CRA), tout comme les procédures d’éloignement, n’ont pas cessé. Justine Girard, responsable rétention de la Cimade, éclaire ces « contradictions entre les pratiques et les annonces ».
Dans un courrier du 8 octobre adressé au ministère de l’Intérieur, la Coordination française pour le droit d’asile demande au ministère de l’Intérieur “l’arrêt des expulsions vers l’Afghanistan”. Des Afghans sont-ils enfermés en rétention en vue d’un éloignement vers leur pays d’origine ?
Justine Girard : À la suite du 15 août (date de la prise de Kaboul par les Taliban, ndlr), trois Afghans ont été placés dans des CRA pour être renvoyés vers l’Afghanistan. Ce n’était pas dans le cadre du règlement Dublin : soit ils étaient déboutés du droit d’asile, soit ils n’avaient pas initié de demande d’asile ; en tout cas, ils ont reçu une mesure d’éloignement vers l’Afghanistan. Cela s’est passé dans plusieurs préfectures. Et encore, nous n’observons que ce qui se passe dans les CRA où la Cimade intervient. Deux de ces trois personnes avaient aussi reçu des interdictions de retour sur le territoire. Elles ont finalement toutes été libérées, sur décision du juge, après des interventions de membres de la Cimade et d’avocats. Mais rappelons qu’un placement en rétention est fait pour qu’une préfecture, en simultané, organise avec diligence l’expulsion de la personne. Rien que de placer des Afghans en CRA, c’est très interpellant.
IM : Pourtant, la France avait annoncé officiellement avoir suspendu ses vols vers l’Afghanistan en juillet ?
JG : En effet, d’un côté le gouvernement dit que les éloignements vers l’Afghanistan sont arrêtés depuis juillet ; de l’autre, les préfectures placent des Afghans en CRA. Ces dernières ont bel et bien l’intention de les éloigner. Face à nos alertes, ces préfectures n’ont jamais réagi en disant qu’il s’agissait d’une erreur : elles ont maintenu en rétention, en attendant la décision du juge… Il y a donc une contradiction entre la pratique et les annonces qui ont été faites. Pour nous, les Afghans ne devraient pas être placés en CRA, ni dublinés : il s’agit de les protéger ! Or, ce que l’on constate aujourd’hui, c’est qu’il y a une non-volonté de protéger les personnes afghanes. Quoi qu’il arrive. La politique de répression prime sur les changements géopolitiques fondamentaux dans le pays d’origine.
IM : Qu’en est-il des Afghans dublinés, et donc, des renvois « par ricochets » ? Fin septembre, quatre Afghans ont été expulsés vers la Bulgarie ; y en a-t-il eu d’autres depuis ?
JG : Il n’y a jamais eu de positionnement public du gouvernement sur les renvois par ricochets. Entre le 17 août et mi-septembre, 13 Afghans sous arrêté de transfert Dublin ont été placés dans les CRA où la Cimade intervient. Depuis mi-septembre, on recense trois autres Afghans placés en CRA dans le même cadre. Il y a eu quelques renvois vers l’Allemagne (qui, pour l’heure, a suspendu ses vols vers l’Afghanistan, ndlr). Mais l’on a aussi eu le renvoi, en août, d’un Afghan dubliné vers l’Autriche. Sachant que l’Autriche n’a pas officiellement suspendu ses vols vers l’Afghanistan… Nous avons essayé de garder un contact avec lui. Lors de notre dernier échange, il était toujours en Autriche ; mais depuis, nous n’avons plus de nouvelles.