Depuis cet été, la Biélorussie est accusée d’orchestrer la venue de milliers de migrants à la frontière de l’Union européenne, en représailles aux sanctions imposées par l’Europe. Avant elle, le Maroc et la Turquie avaient utilisé la même stratégie pour servir leurs propres intérêts.
Des feux allumés à la hâte autour de tentes qui jonchent le sol. Des enfants emmitouflés dans de gros manteaux. Des familles affamées et assoiffées. Des militaires en armes tirant des coups de feu pour empêcher les exilés de faire marche arrière. Les images du camp de fortune installé à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie montrent les conditions dramatiques dans lesquelles vivent quelque 3 000 personnes.
Depuis cet été, des milliers de migrants, principalement originaires du Moyen Orient, ont afflué à la lisière entre les deux pays. Une foule plus compacte s’est dirigée dès lundi 8 novembre dans la zone avec l’espoir de fouler le sol polonais, membre de l’Union européenne (UE).
Selon les Européens, ces mouvements de migrants sont pilotés par le régime du dictateur biélorusse Loukachenko en représailles aux sanctions imposées l’an dernier par les États membres après la brutale répression d’opposants dans le pays. Des vols en provenance de Damas, en Syrie, et de Bagdad, en Irak, achemineraient les exilés dans la capitale Minsk afin de rejoindre ensuite la frontière avec la Pologne.
Jeudi 11 novembre, les pays occidentaux ont condamné à l’ONU une « instrumentalisation orchestrée d’êtres humains » afin de « déstabiliser la frontière extérieure de l’Union européenne ».
L’immigration, le talon d’Achille de l’UE
Ce n’est pas la première fois que l’UE doit gérer une crise migratoire à ses frontières. En mai dernier, le Maroc avait laissé passer des milliers de migrants dans l’enclave espagnole de Ceuta pour protester contre l’hospitalisation à Madrid du chef du Front Polisario. Un an plus tôt, c’était la Turquie qui avait ouvert les portes de l’Europe, via la Grèce, aux exilés, espérant pousser les Européens et l’Otan à lui venir en aide en Syrie.
Mais la réaction de la Biélorussie va encore plus loin. « Jusqu’ici on utilisait les migrants comme monnaie d’échange avec des gens déjà présents sur le territoire des États impliqués. Là, on a atteint une autre dimension jamais observée avec des vols affrétés par Minsk pour faire venir les exilés depuis leur pays d’origine vers les frontières de l’UE », explique à InfoMigrants François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste des migrations à l’université de Liège.
Au même titre que des sanctions économiques, les migrants servent donc de levier aux États hostiles à l’Europe pour servir leurs propres intérêts. « Ce sujet est le talon d’Achille de l’UE, les pays l’ont bien compris et s’en servent pour affaiblir le continent. On organise notre propre vulnérabilité », déplore encore le chercheur.
« On donne aux États le bâton pour se faire battre »
Depuis des années, l’Union ne parvient pas à se mettre d’accord sur une politique migratoire commune. Des divergences qui affaiblissent le Vieux continent.
La question divise même les États membres. Les pays du groupe de Visegrad – Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie – s’opposent systématiquement aux décisions prises par Bruxelles. Pire, ils défient l’UE en ne respectant pas les lois européennes. Budapest a ainsi plusieurs fois été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour son traitement des demandeurs d’asile ou encore son refus d’un système de répartition des migrants.
Les pays en première ligne – la Grèce, l’Espagne et l’Italie en tête – réclament inlassablement la mise en place d’un mécanisme de solidarité afin de partager automatiquement l’accueil des exilés arrivés sur leurs côtes mais se retrouvent souvent seuls à gérer ces flux de personnes.
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Consciente de sa fragilité, l’UE a externalisé ses frontières en passant des accords financiers avec la Turquie et le Maroc pour contenir les migrants sur leur sol. Mais « en agissant ainsi, on leur a donné le bâton pour se faire battre », analyse François Gemenne. « En sous-traitant le sujet, l’UE s’est retrouvée pieds et poings liés à des régimes, qui n’hésitent pas à faire preuve de chantage », continue-t-il.
Et ces méthodes risquent de se reproduire à l’avenir. « Plus la question provoquera une panique généralisée au sein de l’Union, plus les régimes hostiles seront tentés d’utiliser cette méthode », estime le chercheur. Un avis partagé par Matthieu Tardis, de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « En ne laissant pas les migrants entrer, les Européens tombent dans le piège tendu. Ils dramatisent la situation alors qu’ils ont les moyens d’accueillir ces personnes » note-t-il.