JO de Tokyo 2021 : « Le sport et l’accès au sport constituent une réelle bouée de sauvetage pour les réfugiés »
26 juillet 2021TRIBUNE
Masomah Ali Zada
Membre de l’équipe olympique des réfugiés
Afghane accueillie en France, la cycliste Masomah Ali Zada, membre de l’équipe des réfugiés créée par le CIO et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, explique, dans une tribune au « Monde », sa fierté de représenter aux Jeux olympiques 80 millions de personnes déracinées dans le monde.
Tribune. J’ai participé à ma première course de vélo lors d’une compétition entre les écoles de mon quartier. Avant cela, je ne savais pas que les filles pouvaient y participer. En Afghanistan, d’où je viens, il est trop risqué pour les femmes de faire du vélo. J’ai essayé d’autres sports, comme le basket, le taekwondo et le volleyball, mais ils se pratiquent dans des espaces fermés, comme des gymnases.
Avec le cyclisme, je pouvais aller partout, où je le voulais et quand je le voulais. J’adore être en extérieur, cela me procure un vrai sentiment de libération. Le sport m’a menée dans des endroits où je n’aurais jamais pensé me rendre. En Afghanistan, lorsque l’on voit une jeune fille à vélo, c’est étrange et peu commun. Les gens sont fortement influencés par ce que disent les autorités. Selon elles, les femmes n’ont pas le droit de travailler, d’étudier, ni de pratiquer un sport. Beaucoup d’Afghans l’ont simplement accepté ; pas mon père.Archive : JO 2016 : en Grèce, la flamme s’est éteinte au camp de réfugiés d’Elaionas
Mon père pense que les femmes doivent être libres de faire leurs propres choix. Il est convaincu qu’une femme peut travailler, avoir accès à l’éducation et être indépendante. Dans notre famille, nous sommes trois sœurs et mon père nous a toujours encouragées à poursuivre nos études, faire du sport, être des jeunes filles déterminées. Même lorsque le voisinage pensait que mes parents auraient dû avoir honte de nous.
Persévérance
Avec ma sœur, nous avons mis en place un club cycliste féminin. Nous voulions normaliser la discipline pour les femmes en Afghanistan, en leur montrant que faire du vélo est tout à fait normal et bon pour elles. Elles sont maintenant plus de 40. Lorsque j’ai commencé le cyclisme, on m’a averti que ce serait dangereux. Je n’aurais néanmoins jamais imaginé que ça puisse l’être autant.
Lorsque nous allions dans d’autres villes, certains habitants considéraient qu’il était de leur responsabilité de nous empêcher de faire du vélo. Il leur arrivait de nous faire tomber, de nous insulter. Chaque fille qui est montée sur un vélo en Afghanistan a connu cela. J’ai alors arrêté de m’entraîner seule. J’étais toujours accompagnée par des hommes.
« Je veux filmer les athlètes dans leurs souffrances, ce qu’ils ont enduré récemment » : Naomi Kawase, l’œil des JO
La cinéaste choisie pour tourner le documentaire officiel des Jeux de Tokyo, qui s’ouvrent le 23 juillet, a dû s’adapter à la pandémie.
Lorsqu’elle a appris le report des Jeux d’été de 2020 à 2021 et du tournage pharaonique qu’elle préparait, celui du film officiel de l’événement sportif, la cinéaste Naomi Kawase a décidé de prendre son mal en patience. Lever le pied n’est pourtant pas dans ses habitudes, elle qui a tourné neuf films ces dix dernières années.
Mais que faire, sinon attendre le 23 juillet, date du coup d’envoi des JO, qui s’achèveront le 8 août ? « Je me suis occupée de mon potager, de mes fleurs, explique la réalisatrice de 52 ans depuis Tokyo, lors d’un entretien en vidéo. J’ai écrit beaucoup de lettres, j’ai regardé des films. Et puis j’ai pu savourer les choses du quotidien avec mon fils, courir avec lui dans le parc à côté de chez nous. »
Le confinement a aussi été nourri de questions sur ce projet périlleux. Mais le contexte est inédit : « La pandémie fait déjà partie du film, puisqu’elle touche la compétition, les athlètes, le public. Je me pose sans cesse la question du sens qu’il y a à faire un tel tournage, du sens des images dans cette situation », explique Naomi Kawase.
Réalisatrice de drames sentimentaux
Le Covid-19 lui impose une grande plasticité, pour un tournage qui se déroulera dans une ville placée sous état d’urgence et dans des stades sans public. En amont, elle a tourné des interviews d’athlètes pendant le confinement, enregistrant leurs confidences en visio. Son documentaire sera soumis au droit de regard du CIO début 2022 et pourrait ensuite être diffusé sur une plate-forme en ligne.A
Dans un temple proche de chez elle, à Nara, Naomi Kawase a aussi filmé un rituel ancestral : l’Otaimatsu, une cérémonie nocturne qui remonte au VIIIe siècle, lorsqu’un tiers des habitants de cette ville furent décimés par une épidémie de variole. Ainsi, c’est par le spirituel que la réalisatrice compte nourrir ce projet olympique, inédit dans sa filmographie. Elle qui a commencé par un cinéma documentaire gracieux et contemplatif, consacré aux origines et aux liens familiaux (Dans ses bras, 1992), a ensuite habitué le public à des drames sentimentaux parlant de deuil et d’héritage (Shara, 2003, La Forêt de Mogari, 2007,
Filmer des Jeux olympiques est un projet bien différent, au casting démesuré et à la matière inépuisable. Le risque serait de s’y perdre : « L’équipe compte 100 personnes, ce qui est peu compte tenu des 300 disciplines. Je savais à l’avance que c’était impossible de tout filmer, et j’ai décidé d’un traitement particulier », précise la réalisatrice. L’autre écueil consisterait à livrer une œuvre fade comme les Jeux en ont souvent connu. Le CIO a produit une quarantaine de documentaires depuis les Jeux de Stockholm (1912), donnant naissance à un genre en soi, qui a évolué de la captation télévisuelle vers un cinéma lisse et léch
Les médailles au second plan
Rares sont les noms célèbres à s’être prêtés à l’exercice, à l’exception de Miloš Forman, Claude Lelouch et quelques autres à Munich (1972). Lors des Jeux de Tokyo en 1964, le comité avait choisi Akira Kurosawa, mais le cinéaste tenait à garder le final cut et à mettre en scène lui-même la cérémonie d’ouverture… Il fut remplacé par Kon Ichikawa.
Naomi Kawase l’a découvert pendant le confinement, ainsi qu’un précédent notoire, consacré aux JO de Berlin, en 1936, le très contestable Les Dieux du stade, de Leni Riefenstahl. « Je l’ai choisi car c’est l’un des rares à avoir été réalisés par une femme, et, même s’il est discutable, je le trouve réussi. Riefenstahl a pu filmer les corps de très près, ce qui n’est plus possible aujourd’hui. J’ai moins de possibilités que les caméras de télévision », regrette-t-elle.
Naomi Kawase reste discrète sur la forme du film, mais précise ne pas s’intéresser qu’aux médailles. « Je veux filmer les athlètes dans leurs souffrances, ce qu’ils ont enduré récemment. L’humain, la réalité humaine, voilà ce que je veux capter. »
Lorsqu’on lui demande un souvenir d’enfance qui pourrait l’inspirer, elle raconte sa passion d’écolière pour les compétitions de fin d’année – « aux fêtes sportives, j’étais toujours la première » – et pour une série d’animation du petit écran, Jeu, set et match ! Ensuite, sa pratique solitaire du tennis contre un mur du voisinage et du basket-ball pendant les années de lycée. Naomi Kawase vient d’ailleurs d’être nommée présidente de la Ligue japonaise de basket-ball féminin et elle suivra particulièrement l’équipe nippone.
La cinéaste a déjà accumulé des centaines d’heures de rushes, pour un film qu’elle souhaite étiré, « en deux parties de trois heures chacune ». Filmer dans la longueur pour construire le récit au montage lui semble être la méthode adéquate, comme pour son dernier long, True Mothers, avec une centaine d’heures de rushes montés sur deux heures et vingt minutes. Le film, qui a fait partie de la Sélection officielle du Festival de Cannes en 2020, sortira en France le 28 juillet. En plein pendant les Jeux.