Expulsions, arnaques… : la lutte quotidienne d’un sans-papiers pour se loger
18 décembre 2020Arrivé en France pour ses études en 2011, Babou, Malien de 37 ans, n’a pas pu renouveler son titre de séjour. Il est depuis « tombé dans l’illégalité ». Sans-papiers, il a eu recours au système D pour se loger, et a dû faire face aux marchands de sommeil, aux arnaques à la sous-location et aux pseudo-bailleurs malhonnêtes.
Babou* voulait initialement devenir professeur de géographie. Après des études à Bamako, il s’est envolé légalement pour la France en 2011, à l’âge de 28 ans, pour y poursuivre un master, d’abord à Orléans puis en région parisienne. Au fil des ans, Babou explique avoir décroché.
La première année, il n’a pas réussi à valider toutes ses matières ; la seconde, il n’est pas venu à bout de son mémoire, condition sinequanone à l’obtention de son diplôme. Il a persévéré, s’est réinscrit en Master 2, mais il n’est jamais parvenu au résultat espéré, dit-il sans trop réussir à expliquer pourquoi. Il a simplement « perdu l’énergie », sa confiance en lui, et la peur de l’échec est devenue une angoisse paralysante : sans ce statut d’étudiant, pas de titre de séjour. Babou a fini par « tomber dans l’illégalité ».
Depuis 2014, il vit en région parisienne de petits boulots (dans le bâtiment, dans la restauration ou comme vendeur à la sauvette) exercés au noir ou sous une fausse identité. Il passe aussi beaucoup de temps couché, assailli par des idées noires, à réfléchir à des façons « d’en finir ». Il est impensable, pour lui, de rentrer au Mali « sans rien, ni économie, ni projet, ni papiers ».>
Ne pas avoir de papiers semble en effet être la source de tous les maux de Babou. Il ne peut obtenir de contrat légal ou de bail. Difficile donc de se loger. Pour trouver un toit, cet homme de 37 ans est dépendant des rencontres qu’il peut faire. Untel croisé au marché a peut-être un plan pour un logement ? L’ami de cette autre personne aurait éventuellement un endroit où déposer un temps quelques affaires ? Babou est prêt à tout pour ne pas dormir dehors. Des bus de nuit à l’appartement insalubre loué par un marchand de sommeil, en passant par un hébergeur aux habitudes étranges, il raconte à InfoMigrants ses pérégrinations en banlieue parisienne pour se loger.
- Chez un « monsieur malien », à Sevran
« Un monsieur malien m’a accueilli chez lui, à Sevran. Il m’a tendu la main. Je ne lui payais rien. On était trois à vivre là. Je dormais dans le salon avec un autre homme que je ne connaissais pas. Cet homme m’interdisait d’allumer la lumière après 22h et la nuit, il recevait des appels, ça me réveillait. On ne s’entendait pas bien.
On se chauffait au radiateur à pétrole qui dégageait une forte odeur. Le monsieur malien l’éteignait régulièrement, pour faire des économies. La température baissait alors d’un coup, c’était comme si on était dehors. Je suis resté là trois-quatre mois. »
- En colocation, à Neuilly Plaisance
« J’ai répondu à une annonce sur le site Leboncoin : une jeune femme louait un appartement en colocation à Neuilly-Plaisance. Je suis allé au rendez-vous avec deux autres hommes. La jeune femme nous a demandé de payer tout de suite, 600 euros par personne. Je n’avais pas une telle somme et j’avais beaucoup de doutes sur elle mais je lui ai quand même donné tout ce que j’avais.
Elle a pris l’argent puis on ne l’a plus jamais revue. On a vécu quelques mois dans cet appartement dont le locataire officiel ne payait pas le loyer : on recevait des courriers qui disaient qu’il avait plus de 10 000 euros de loyers impayés. On a fini par être expulsés du logement. »
- Chez « une dame », à Choisy-le-Roi
« Toujours sur Leboncoin, j’ai trouvé une nouvelle annonce. C’était une dame, elle voulait voyager et elle cherchait quelqu’un pour garder sa maison et son chien. On a convenu que je lui paierais environ 200 euros par mois. Elle est partie aux Etats-Unis où elle prévoyait de rester longtemps. Elle devait rejoindre un homme là-bas mais les choses ne se sont pas bien passées entre eux et elle est finalement revenue au bout de deux semaines à peine. >
J’ai continué à vivre un peu chez elle, vu que j’avais payé pour le mois, mais c’était tendu. Quand elle recevait du monde, elle mentait et racontait à ses invités qu’elle m’hébergeait par charité. Elle disait : ‘Je l’ai vu dans le besoin, alors je l’ai fait venir chez moi’. Ce n’était pas vrai, je la payais. Puis elle m’a dit de partir. »
- Chez un « vieux monsieur du Cameroun », à Villetaneuse
« Devant un magasin Carrefour, où des hommes vendent des montres au noir, j’ai rencontré un vieux monsieur du Cameroun qui venait changer la pile de sa montre. On a discuté. Il m’a demandé : ‘Où tu vas ?’. J’ai dit : ‘Je sais pas’. Il m’a dit : ‘Viens chez moi, j’ai une grande maison’.
Il vivait là avec un couple à qui il louait une chambre. Moi, je dormais dans le salon.
Je ne le payais pas mais je lui achetais des petites choses pour lui faire plaisir. Une fois, j’ai pu lui donner 100 euros. Il était très content.
Je suis resté deux mois. Au début, il y avait une très bonne ambiance entre lui et moi, on parlait de tout et de rien, de livres, de son parcours, etc. Mais tout s’est arrêté d’un seul coup. Un jour, en rentrant du travail, j’ai trouvé la porte d’entrée fermée à clé. Je n’avais pas le double des clés. J’ai sonné plein de fois mais il ne m’a pas ouvert. Il m’a dit plus tard qu’il dormait et n’avait pas entendu la sonnerie. Je suis allé dormir chez un ami cette nuit-là. Puis le monsieur a fini par me dire : ‘Ça fait longtemps que tu es là, il faut que tu trouves un autre logement’. »
- Dans les bus de nuit
« Je m’en souviens, c’était le 23 septembre 2016. Ma première nuit dehors. Je l’ai passée dans des bus de nuit. Un ami m’avait dit qu’il avait déjà fait ça donc j’ai fait pareil. Je suis allé jusqu’à Neuilly-sur-Marne et j’ai marché le long du fleuve. Puis j’ai pris un bus pour la Gare de l’Est, puis un autre pour l’aéroport Charles-de-Gaulle. Ensuite, j’ai pris le premier RER de la journée pour revenir en ville. »
- Chez « une dame » qui ne payait pas son loyer, à Saint Denis
« J’ai passé un an chez une dame qui était locataire d’un logement social. J’étais seul dans l’appartement, elle vivait ailleurs. Il n’y avait ni chauffage, ni gaz. Je me suis acheté une petite plaque électrique pour cuisiner. Pour me doucher, j’allais dans une salle de sport à côté, où j’avais pris un abonnement.
Je payais la dame 280 euros par mois et je payais aussi l’électricité. Je savais qu’elle ne louait cet appartement que pour 180 euros. Sauf qu’elle ne payait pas…
Un jour, la police est arrivée pour libérer le logement. Ils m’ont dit : ‘Vous habitez là ?’, j’ai dit oui, ils ont dit : ‘Prenez vos affaires et partez’. J’ai vite pris tout ce que je pouvais et j’ai confié une partie de mes affaires intransportables à la voisine. »
- Nouvelle colocation, à Dugny
« Depuis deux ans, je vis en colocation dans un logement social, à Dugny. On est cinq : il y a quatre Maliens, dont moi, et un Ivoirien, qui est sans-papiers lui aussi. On est là de manière illégale bien sûr.
C’est une dame qui nous sous-loue l’appartement. Il a fallu qu’on lève la voix pour qu’elle arrête de vouloir nous faire payer toujours plus de choses. On paie chacun 300 euros par mois, plus le gaz et l’électricité et aussi la taxe habitation. Tout cela nous revient cher.
Elle, je sais qu’elle règle bien le loyer au propriétaire. Donc tant que nous, on la paie, ça devrait aller. Mais on est très précaires. Á chaque échéance, c’est le stress. Souvent je me demande : ‘Comment j’en suis arrivé là ?' »*