Lettre d’un futur migrant à sa mère (Par Fatimata DIALLO BA)
16 août 2019Dem naa te duma dellusi.
(Je pars mais je ne reviendrai plus).
Yaay booy, demain, quand l’ombre de la nuit aura fermé les paupières du jour, je partirai.
Pardon Yaay mais je ne peux plus rester ici.
La pirogue m’attend et elle ne partira pas sans moi. Cette fois c’est décidé, je pars. Rien ne peut plus me retenir désormais.
Ni ton espoir en moi, ni les menaces par amour de mon père, oui je sais qu’il m’aime, ni le sourire de lait de Coumba, ni les attentes de mes frères et sœurs, non Maman, plus rien désormais ne me retiendra.
Ni mon amour pour ma terre, ni le thé d’amitié quotidien pour oublier mes soucis, ni tes mains sur mon front, ni le chant mélodieux de ton chapelet aux heures de prières, cette fois-ci, je veux tout oublier.
En partant, je ne veux pas croiser ton regard, Yaay, ni celui de mes amis, ni celui de mes frères et sœurs, ni celui de mon père. Je mettrai mes habits les plus sombres pour me fondre dans la dernière obscurité de la nuit et je partirai.
Vois-tu Yaay, j’ai tant travaillé pour obtenir mes diplômes. Tu as tant sacrifié pour me sauver. Et j’ai encore reçu un non à ma dernière demande. Pourquoi moi? Certains de mes amis ont été embauchés. Ce sont ceux qui en avaient le moins besoin. Fils à papas nantis, ils se sont vu offrir un avenir sur un plateau d’or alors que mes efforts se réduisaient en cendres. Ils sont costumés, cravatés, ont voitures et maisons et moi je n’ai rien.
Tu as vendu ton or pour moi, Yaay, puis tu as vendu des légumes devant la maison pour que j’y arrive. Rien. Père a fait ce qu’il a pu. Rien. On m’a dit que si je militais dans le parti au pouvoir, j’aurais une chance d’être recruté. Mais je ne suis pas convaincu par ces messieurs et leurs beaux discours. Donc je n’ai pas milité car je refuse de perdre ma dignité.
On m’a raconté le calvaire des migrants en Europe, j’ai vu les images des cadavres flottant sur la Méditerranée, j’ai lu les témoignages des Africains réduits en esclavage en Lybie. J’ai lu que l’Europe ne voulait pas de nous et que la plupart des migrants étaient parqués dans des centres puis qu’ils étaient renvoyés chez eux.
Mais demain, Yaay, je partirai.
J’ai lu que très peu d’entre eux s’en sortaient en Europe mais mon ami Moussa y est arrivé lui, alors pourquoi pas moi ?
Vois-tu, on ne peut rien pour moi ici.
On ne veut pas de moi, ici. Et moi, je ne veux pas voler, je ne veux pas tuer, je ne veux pas devenir un délinquant.
Je promets de te rembourser l’argent de ta tontine que je t’ai emprunté pour payer mon voyage. Je te le jure. Je te rembourserai avec les intérêts.
Cela fait 3 ou 4 ans que j’ai fini des études durement menées et je suis toujours au chômage malgré mes demandes.
Cette attente n’en finit plus, Yaay, et je commence à perdre la foi.
Je sais que tu vas souffrir, Yaay. Tu n’as plus de larmes et ta santé chancelle. Papa te reproche de trop me couver. Il commence à dire que je suis un bon à rien. Je veux lui prouver qu’il a tort. Et je veux que tu sois enfin heureuse, Yaay.
Prie pour moi, Yaay Booy. C’est dans tes prières que je trouverai la force de ne pas me retourner.
Fatimata DIALLO BA