Les Indiens du Kenya, une diaspora qui pèse
18 juillet 2016Les Indiens du Kenya, une diaspora qui pèse
En visite d’Etat au Kenya les dimanche 10 et lundi 11 juillet, le premier ministre indien, Narendra Modi, est en terrain conquis. La communauté indienne du pays, estimée à 100 000 membres (sur 42 millions d’habitants), est l’une des plus importante d’Afrique. Une des plus riches aussi, à la tête de la plupart des grandes entreprises, banques et supermarchés du pays. « Leur poids dans l’économie est écrasant, rappelle Michel Adam, auteur de L’Afrique indienne (2009, IFRA-Karthala). Au moins les deux tiers des industries leur appartiennent. »
L’histoire des Indiens du Kenya a plus d’un siècle d’âge. « Avant la colonisation britannique, il existait déjà depuis longtemps un commerce florissant entre l’Inde et la côte orientale de l’Afrique, avec de grands marchands musulmans, très fortunés », raconte Sana Aiyar, auteure de Indians in Kenya : The Politics of Diaspora (Harvard University Press, 2015, non-traduit).
Le colon britannique, quarante années après s’être emparé des Indes, met le Kenya sous protectorat en 1895, ouvrant la porte à un échange océanique plus intensif encore. « Pour la construction du chemin de fer Mombasa-Kampala, à travers le Kenya, des milliers de travailleurs indiens font la traversée, suivis par de petits businessmen, épiciers, agriculteurs et travailleurs du textile », raconte Mme Aiyar.
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Petite bourgeoisie
Les Indiens s’installent en Afrique du Sud, en Ouganda, en Tanzanie, mais aussi au Mozambique. Jusqu’aux années 1920, la roupie indienne sert de monnaie d’échange entre les deux rives. Le Kenya devient « l’Amérique des Hindous » : entre 1887 et 1963, la communauté passe de 6 000 à 200 000 membres, constituant à l’indépendance 2 % de la population du pays et près d’un tiers de celle de Nairobi.
Les Indiens forment une petite bourgeoisie, mais souffrent comme les Africains de discriminations face au colon blanc. En avril 1950, 20 000 personnes, issues des deux communautés, manifestent ensemble à Nairobi pour leurs droits.
En 1963, l’indépendance sonne le glas de cette entente cordiale. La communauté indienne, bien plus riche et éduquée, est accusée de reproduire le système colonial. Ainsi, 1 % à peine des Africains occupe alors des emplois techniques, contre un quart pour les Indiens, dont 60 % ont accès à au moins neuf ans d’éducation, contre 4 % pour les Africains.
Divorce consommé
« Plusieurs lois sont alors passées à l’indépendance pour restreindre la propriété indienne », explique Mme Aiyar. En 1965, le nationaliste kényan d’origine indienne Pio Gama Pinto, combattant de l’indépendance, est assassiné, vraisemblablement sur ordre du pouvoir. Le divorce est consommé : la moitié des Indiens présents ne prennent pas la nationalité kényane.
Les discriminations sont cependant loin d’atteindre le sommets d’Idi Amin Dada, qui expulse et exproprie en 1972 les Ougandais d’origine « asiatique ». « Au Kenya, à la différence de l’Ouganda, les mots n’ont pas été suivis d’action, analyse Mme Aiyar. Tous les politiques, même Jomo Kenyatta à l’indépendance, savent qu’ils ont besoin des Indiens pour construire le pays. »
« Baniani mbaya, kiatu chake dawa » (« les commerçants Hindous sont un enfer mais leurs chaussures sont de bons remèdes »), dit le proverbe swahili. Autrement dit : les Indiens sont mauvais mais leur business est utile. La communauté indienne, qui ne représente plus que 0,2 % de la population, réconciliée avec le pouvoir politique, se fait aujourd’hui discrète, repliée sur les affaires commerciales, tandis que Noirs et Indiens vivent côte à côte sans se mélanger.
« La plupart des Indiens veulent conserver leur religion, leur famille, leur philosophie, se désole Manu Chandaria, l’un des principaux industriels d’origine indienne du Kenya. Ils ne se sentent pas partie de la nation kényane. »
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