L’Europe cède à la panique dans le dossier des migrants
29 février 2016L’Europe cède à la panique dans le dossier des migrants
L’Europe se ressaisira-t-elle ? Et si oui, quand ? La réunion des ministres de l’intérieur de l’Union jeudi 25 février à Bruxelles a donné une nouvelle preuve, édifiante, désespérante, de son incapacité à surmonter la crise des migrants. Invectives, étalage public des dissensions entre des pays pourtant amis, comme la France et la Belgique (concernant la « jungle » de Calais), l’Allemagne et l’Autriche (à propos de l’établissement de quotas de migrants par Vienne). Accidents diplomatiques inédits, avec le rappel par Athènes de son ambassadrice en Autriche. Manque total de solidarité d’une partie de l’assistance (Autriche, pays de l’Est) à l’égard de la Grèce, qui est pourtant en train de se transformer à grande vitesse en vaste « piège à migrants »…
Les ministres ont certes réitéré leur volonté de trouver des « solutions européennes », de poursuivre dans la voie de la relocalisation des réfugiés décidée en 2015, de continuer à miser sur les « hotspots » (des centres d’enregistrement et de tri en Italie et en Grèce), mais les pays des Balkans et d’Europe centrale, à commencer par l’Autriche, ne sont pas revenus sur leurs « décisions unilatérales » de ne plus faire passer les migrants, et même les réfugiés, qu’au compte-gouttes. Et tant pis si en Grèce, à l’autre bout de la « route des Balkans », la crise humanitaire menace, avec potentiellement des dizaines de milliers de migrants coincés à la frontière macédonienne. Tant pis aussi si cela condamne, à très court terme désormais, l’espace de libre circulation Schengen. « Nous n’avons plus que dix jours », a prévenu le commissaire européen à la migration, le grec Dimitris Avramopoulos, jeudi.
« La réunion a été très dure, le ministre de l’intérieur grec [Yannis Mouzalas] a été très dur. Il a reproché longuement à l’Autriche d’avoir organisé, la veille à Vienne, une réunion des Balkans sans l’inviter, a dit que son pays, lui, n’organisait pas ce genre de club », témoigne une source diplomatique. Il a même dénoncé une démarche jugée « ennemie », assure un autre diplomate européen, effaré que ce type de terme puisse être prononcé lors de réunions d’habitude extrêmement policées.
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« Cela montre à quel niveau intellectuel le débat est tombé »
D’autres, pays de l’Est et des Balkans, ont accusé la Grèce de n’avoir pas fait son travail pour stopper les migrants. Le ministre français Bernard Cazeneuve et son homologue allemand Thomas de Maizière, ont, a contrario, et avec énergie, selon plusieurs sources, pris la défense d’Athènes, disant qu’elle avait fait beaucoup d’efforts (en installant quatre hotspots désormais opérationnels), qu’il ne servait à rien de continuer à l’accuser, qu’il fallait au contraire l’aider. « Certains, à l’est, ont même mis en doute les chiffres de Frontex [l’agence de gardes-côtes et gardes-frontières européenne], en disant que la majorité des personnes arrivées en Grèce étaient des migrants économiques et pas des réfugiés », témoignait encore un diplomate, jeudi, « cela montre à quel niveau intellectuel le débat est tombé » ajoutait-il, un peu effaré lui aussi.
C’est la présidente suisse, Simonetta Sommaruga, participant au conseil en temps que membre de Schengen, qui a résumé le mieux la situation : « La volonté d’assumer les décisions communes n’est pas très grande, la pression [des opinions publiques] est forte. » De fait, un nombre de plus en plus important de gouvernements — au Danemark et en Suède au début de 2016 ; en Hongrie dès septembre dernier ; en Autriche, il y a dix jours —, ne veulent plus attendre les solutions « propres », « solidaires », de Bruxelles.
La seule « solution » qui fait encore consensus à vingt-huit, c’est la proposition de la Commission faite à la mi-décembre dernier de décupler les moyens et les pouvoirs du corps de gardes-côtes et de gardes-frontières européens — un projet soutenu par la France, qui en revendique la paternité. Les ministres de l’intérieur se sont félicités jeudi que les discussions, sur cette proposition aient très vite progressé, et espèrent désormais un accord au Conseil européen en avril, et un accord du Parlement européen, avant l’été. Un record pour la machine à légiférer bruxelloise, mais qui semble une éternité face à l’urgence de la situation.
Les gouvernements semblent désormais entrés en « panique ». Ils sont tétanisés par les arrivées depuis janvier en Grèce (102 000 migrants), et par la perspective de flux encore plus importants avec le retour du printemps, ils ferment leurs frontières, contreviennent au droit européen et aux conventions de Genève, pour répondre à une opinion publique rétive et à des partis populistes de plus en plus écoutés. L’Autriche a ainsi instauré un quota journalier de 3 200 migrants autorisés à passer sur son territoire. La Slovénie lui a emboîté le pas vendredi, fixant « un plafond d’environ 580 migrants par jour » et demandant à son voisin croate de respecter cette limite.
La chancelière Angela Merkel est désormais seule en Europe — avec la Commission européenne — à défendre encore l’accueil de réfugiés. Mais elle est tellement affaiblie qu’elle n’a pas pu empêcher les initiatives erratiques de l’Autriche et de ses alliés, à Vienne, mercredi 24 février, ni l’annonce d’un référendum sur la relocalisation des migrants par le premier ministre Viktor Orban, pourtant membre, comme elle, du Parti populaire européen… La chancelière a réussi à obtenir de ses collègues européens un sommet avec la Turquie, le 7 mars, à Bruxelles. Pour gagner du temps, tenter de retarder d’autres mesures unilatérales de fermeture des frontières. Et limiter la « casse » pour son parti, la CDU, qui est menacé par trois élections régionales en Allemagne, le 12 mars.
La Turquie a signé un « plan d’action » avec l’Union, le 29 novembre dernier, s’engageant à limiter les flux de migrants quittant ses côtes pour la Grèce, contre de l’argent, et la promesse de la réactivation du processus d’adhésion du pays à l’Union. Pour l’instant, cet accord est en grande partie lettre morte. La décision d’enrôler l’OTAN, il y a quinze jours, pour aider à traquer les passeurs et renvoyer les migrants sur la cote turque pourrait aider. « Il faudrait un signal politique, avant le 7 mars, qu’il fonctionne, par exemple, un ferry plein de migrants économiques reconduits de la Grèce vers la Turquie », suggérait un diplomate européen, jeudi…
En attendant, Bruxelles, fataliste, en est réduite aux pis-aller : dans l’urgence, les fonctionnaires de la Commission travaillent à une proposition d’aide « humanitaire » à la Grèce. Du jamais-vu : l’Europe dispose de fonds ad hoc pour les situations d’urgence, mais jusqu’à présent, ils avaient toujours été destinés à des pays tiers.