Migration clandestine en Méditerranée, Recrudescence de naufragés : accidents ou assassinats ?
30 mai 2015Après la découverte, jeudi 7 mai, d’une épave qui renfermerait des dépouilles de centaines de victimes qui se sont noyées le mois dernier, l’OIM a récemment demandé une «enquête internationale» sur les récents naufrages dans la Méditerranée.
William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), exprime ses craintes que le grand nombre de morts parmi les migrants clandestins en Méditerranée soit aussi dû à des assassinats. L’embarcation, naufragée le 18 avril, avec 800 passagers à son bord, d’après 28 rescapés qui ont ensuite été évacués vers l’Italie, serait retrouvée. Les autorités italiennes ont en effet signalé qu’un robot a sondé un bateau accidenté découvert à une profondeur de 375 mètres, à quelque 85 miles marins au nord-est de la côte libyenne. D’après celles-ci, il s’agirait du même chalutier.
Il ressort des indications qu’elles ont publiées que les images sonar de haute résolution prises par le robot dévoilent que la coque de l’épave de 25 mètres de long aurait subi des dégâts provoqués par un navire plus gros, probablement participant aux premiers secours. Au moins un corps aurait été découvert pendant l’exploration et d’autres seraient visibles à l’intérieur de l’épave, rapporte-t-on. Pour le directeur général de l’OIM, une telle information confirme leurs pires craintes sur le comportement sans pitié des passeurs. Il a soutenu que s’il s’avère que des centaines de migrants tentant d’atteindre l’Europe ont été piégés sous le pont, à bord d’un bateau hors d’état de naviguer, il ne peut s’agir que d’un assassinat qui nécessite une enquête internationale.
Suite à la réunion de l’Union européenne et les pourparlers au Conseil de sécurité de l’ONU pour l’adoption d’une résolution pour l’emploi de la force armée contre les trafiquants, de plus en plus de voix s’élèvent contre ce fléau des temps modernes. Pour Federica Mogherini, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, il ne sera procédé à aucun renvoi dans leurs pays d’origine pour tous ceux qui ont été sauvés en mer. Sollicitant le soutien du Conseil de Sécurité de l’ONU contre l’immigration illégale, elle a prôné la destruction des bateaux, la saisie et le gel des avoirs des trafiquants qu’il faut juger sans ménagement. Des responsables ont avancé qu’il s’agit d’une problématique qui ne concerne pas uniquement l’UE, mais toute la communauté internationale.
Justement l’OIM salue les efforts actuellement déployés par le ministère public italien pour poursuivre les auteurs de cet acte et d’autres crimes contre les migrants devant la justice.
Une année encore plus meurtrière
Dans tous les cas, la récente découverte en Italie de ce qui pourrait être le pire cas de trafic illicite d’êtres humains jamais enregistré dans les eaux de la Méditerranée a lieu au moment où de nouvelles statistiques confirment que 2015 s’avère être une année encore plus meurtrière que 2014, alors que près de 3 300 migrants ont péri en tentant d’atteindre l’Europe par la mer. Nous l’annoncions dans nos précédentes éditions, mais d’après les données fournies par le ministère italien de l’Intérieur, le nombre d’arrivées en mer pour les mois de janvier à avril 2015 s’élevait à 26 228, une tendance similaire aux arrivées pour la même période en 2014, au cours de laquelle 26 644 migrants avaient été enregistrés.
Pour le seul mois de mai en cours, l’OIM estime le nombre d’arrivées à environ 8 270, portant le nombre total d’arrivées de migrants au 7 mai à environ 34 570. Justement, l’OIM attire l’attention sur le nombre croissant de pertes humaines. Alors que l’année dernière 96 migrants ont péri dans la Méditerranée pour la période allant de janvier à avril, le bilan de cette année est estimé à 1 770 décès au 30 avril.
Cette année, le mode opératoire des passeurs semble également avoir changé : les migrants arrivent aujourd’hui en plus grand nombre en un temps considérablement plus court. A noter que les principaux pays d’origine de cette année sont l’Erythrée (5 388), la Somalie (3 717), le Nigéria (2 789), la Gambie (2 099) et la Syrie (2 091).
Interminables séries macabres
La dernière tragédie s’est produite entre le dimanche 3 et le lundi 4 mai, lorsqu’un groupe de 137 migrants est parti de Libye à bord d’un bateau surchargé qui est tombé en panne après 24 heures. Quelque 46 migrants se seraient noyés lors du naufrage qui a suivi. Les 91 rescapés ont été secourus dans les eaux internationales par le Zeran, un navire commercial maltais. Ils ont été amenés à Catane, en Sicile, mardi 5 mai. Federico Soda, directeur du Bureau de coordination de l’OIM pour la Méditerranée à Rome, a indiqué que pendant les quatre premiers mois de 2015, nous avons également enregistré une hausse du nombre de femmes nigérianes, trois fois plus qu’au cours de la même période l’année dernière. De son avis, il existe des inquiétudes fondées, selon lesquelles bon nombre d’entre elles seraient victimes de traite. Justement, pour lutter contre la traite, en 2014, dans le cadre du projet Praesidium du gouvernement italien financé par l’UE, l’OIM en Italie a établi deux équipes spéciales de lutte contre la traite en Sicile et dans les Pouilles, afin d’identifier les cas vulnérables et de fournir une aide aux femmes qui seraient victimes de traite. En chœur, les responsables de l’UE et du monde sont d’accord pour qu’aucune autre vie ne soit sacrifiée en mer.
Des destins brisés
Pour tous ceux qui échouent, il y a l’impact dévastateur sur les familles restées au pays. Frank Laczko, responsable de la Division de l’OIM pour la recherche migratoire et directeur d’un projet d’«aide aux familles de migrants disparus», s’est penché sur cette problématique. Il trouve que ces familles vivent souvent une double tragédie, celle de la perte d’un proche et celle de vivre dans l’incertitude pendant des semaines et des mois, sans pouvoir obtenir d’informations sur les circonstances du décès. Des familles qui ont droit, conformément au droit humanitaire international, de connaître le sort de leur proche disparu et de savoir où leur dépouille est enterrée. Depuis le siège de l’OIM à Genève, ce responsable a martelé que «les membres des familles qui recherchent désespérément des informations feraient même appel aux services de passeurs pour atteindre la zone où le décès pourrait s’être produit ». Il a ajouté que ne pas savoir ce qui est arrivé à un proche signifie un destin brisé en mille morceaux. En effet, aucunes funérailles ou cérémonies de deuil ne peuvent avoir lieu, les questions juridiques concernant l’héritage et la propriété foncière restent non résolues, le conjoint ne peut pas se remarier, etc. Enfin, il a suggéré que les protocoles internationaux, créés pour enregistrer les décès lors de catastrophes humanitaires, en identifiant les dépouilles et en localisant leurs proches, soient appliqués aux migrants disparus.
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