19 août 2022 Non Par Fatou Kane

« Comment les personnes demandant l’asile peuvent-elles “prouver” la véracité des horreurs qu’elles ont subies ? »

S’agit-il de protéger les réfugiés ou de les punir ? Dans une tribune au « Monde », la médecin légiste et psychiatre, Judith Trinquart, interpelle les juges de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides sur la manière dont sont menés les entretiens avec les demandeurs d’asile.

Je suis médecin légiste et psychiatre. Depuis sept ans, je rédige des certificats pour des personnes demandant l’asile à la France et s’étant adressées à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Certaines sont admises, mais bien plus nombreuses sont les refusées. Si ces dernières passent devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et me demandent un certificat, quand j’apprends les motifs du refus et les conditions dans lesquelles s’est déroulé l’entretien à l’Ofpra je suis atterrée.

Atterrée par les questions que vous, mesdames et messieurs les juges, avez posées, atterrée par le contexte de l’entretien, votre froideur, votre peu d’empathie, votre apparente méconnaissance des violences infligées, votre ignorance évidente des psychotraumatismes et du phénomène de la mémoire traumatique. Bref, je suis atterrée par votre traitement purement technique et technocratique des données, sans prise en compte du facteur humain.

Je rappelle que l’Ofpra est un office de protection, et je demande : quelle protection ? Que fait l’Ofpra ? Que faites-vous, mesdames et messieurs les juges ? Rejeter les gens à la mer ? Dans le désert ? Les renvoyer dans des pays tortionnaires ? Où les droits de l’homme n’existent pas ? La France n’est-elle pas le pays des droits humains ?

 Article réservé à nos abonnés Demandeurs d’asile : « Partout autour de nous, nous observons la récurrence de la suspicion »

Prenons un exemple. Monsieur Mohamed est originaire de Guinée. Opposant politique, il a été emprisonné et torturé de toutes les façons possibles — physiquement, psychologiquement, sexuellement. Après avoir entendu le récit de ces tortures, je crois être arrivée au bout de l’histoire, au bout de l’horreur. Mais voilà qu’il commence à raconter sa traversée du désert de Lybie en disant : « C’est l’enfer. » Ah ! Jusqu’alors, ce n’était donc pas l’enfer ?

« J’ai mangé un mort »

Douze jours pour traverser le désert à pied. Les gens qui meurent autour de lui. En effet, c’est l’enfer. Survivre à des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants qu’il voit mourir les uns après les autres. Mourir de soif, de douleur, de piqûres de scorpions ou de morsures de serpents. Mourir, tirés comme des lapins par les Bédouins gardiens de troupeaux de moutons qui les considèrent comme des intrus. Entendre encore et encore les gémissements et les hurlements de ceux qu’il a laissés au bord du chemin sans pouvoir leur venir en aide, parce que s’arrêter, c’est crever avec eux