Les causes multiples de l’émigration africaine irrégulière

Les causes multiples de l’émigration africaine irrégulière

8 décembre 2020 Non Par Fatou Kane

Al’automne 2005, nombre d’Européens ont découvert l’existence des villes de Ceuta et Mellila, à la frontière entre l’Espagne et le Maroc, en voyant sur leur poste de télévision ces Africains cherchant au péril de leur vie à émigrer de façon irrégulière vers l’Europe. Or, « toute immigration est précédée d’une émigration [, dont l’analyse des causes est essentielle à la compréhension.

La forte augmentation du nombre de migrants  en « situation irrégulière » enregistrée au départ – et à l’intérieur – de l’Afrique (toute l’Afrique, y compris l’Afrique du Nord) depuis le début des années 1990 est bien sûr à relier aux multiples facteurs de repoussement qui s’exercent sur certaines franges de la population africaine, notamment la plus jeune. En comparant sa situation sur le continent où elle est née à ce qu’elle pourrait devenir si elle changeait de pays, elle estime qu’elle ne pourrait que « mieux vivre », tout en disposant de la force physique pour y arriver.

Le Nord davantage attractif

3D’un côté, l’attraction de plus en plus forte qu’exercent le mode et le niveau de vie des populations d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord intervient aujourd’hui très puissamment, particulièrement auprès des jeunes citadins, de sexe masculin dans l’ensemble, mais auxquels se joignent de plus en plus de femmes. Cette attraction est favorisée par le développement des nouvelles technologies de l’information et, concomitamment, la pénétration des images (de lumières et de joie de vivre à l’européenne…) dans des lieux encore inaccessibles dans les années 1980. Pour des jeunes, notamment, l’Europe toute proche (et, à degré moindre, l’Amérique du Nord), représentent « ce qu’il y a de mieux » en termes de conditions de vie, de liberté, de garantie des droits, de loisirs, etc.

Les effets de la généralisation des visas

4Ce phénomène d’attraction a été doublé d’un facteur psychologique grossissant : la généralisation des visas dans l’ensemble des pays riches d’accueil potentiel. Cet élément a limité singulièrement les migrations légales et les simples déplacements des personnes, et ajouté, à l’attrait qu’exerce l’Europe, le sentiment qu’elle serait devenue « interdite ». Il a grandement contribué à l’accroissement de mouvements effectués dans la clandestinité. Il a conduit à transformer des mouvements humains qui se produisaient, jusqu’au milieu des années 1980, tout naturellement, dans les deux sens, en fixation définitive dans certains pays européens, par crainte de ne plus pouvoir y revenir.

Un cocktail de facteurs de répulsion

5Parallèlement, l’Afrique exerce, depuis de très nombreuses années, un effet de plus en plus répulsif sur une partie grandissante de sa population, dont l’espoir d’une vie meilleure sur son lieu de naissance s’amenuise au fur et à mesure que s’accroissent la pauvreté et le « mal de vivre » ambiants.

6L’évolution de la situation en Afrique – au sud du Sahara, en particulier – depuis le milieu des années 1960, et plus nettement depuis les années 1980, est globalement marquée par un ensemble de problèmes majeurs, qui résument l’ampleur et la profondeur du dilemme africain en ce début de siècle.

7L’Afrique, en effet, connaît encore une ère d’exubérance démographique. La pauvreté est en train de s’y étendre comme nulle part ailleurs au monde. Certaines ressources naturelles à la disposition de ses habitants – l’eau notamment – sont de moins en moins abondantes. Et, conséquence d’une multitude de raisons – dont les trois causes ci-dessus et les multiples interférences extérieures aussi bien, politiques, du temps de la « guerre froide », qu’économiques, de l’ère actuelle de la mondialisation – les conflits et les guerres de toutes natures y sont de plus en plus nombreux. Ils réduisent par là même les possibilités d’inverser les tendances notamment en termes économiques, étant donné que l’insécurité représente un facteur de forte répulsion, aussi bien pour les investisseurs locaux (dont le nombre est a priori réduit) que pour des investisseurs potentiels étrangers. À ce niveau, deux déterminants directs, intimement liés dans la situation africaine actuelle, sont à mettre plus particulièrement en avant. La croissance démographique qui se poursuit à un rythme élevé – ne serait-ce que par effet de vitesse acquise – et la pauvreté qui devient de plus en plus générale, de plus en plus marquée.

Le potentiel démographique de l’émigration

8L’Afrique qui, en 1950, comptait 221 millions d’habitants et 8,7 % de la population mondiale, est estimée en 2005 à 903 millions (soit près de 13,5 % de la population mondiale), et pourrait regrouper 1,349 milliard d’habitants en 2025  et 1,76 milliard en 2050. C’est, aujourd’hui, le continent le plus en retard en terme de transition démographique .

9Cependant, si le facteur démographique joue un rôle dans les mouvements de départ de populations d’une région à une autre ou d’un pays à un autre, cela ne se vérifie que si d’autres éléments sont réunis, qui deviennent dès lors les moteurs de la migration. Abstraction faite de facteurs politiques d’ordre général (en rapport avec l’existence de l’Etat de droit, ou plus fondamentalement aux conditions de sécurité prévalant dans un pays ou une région), il est bien évident entre situation économique et mouvements migratoires. En terme d’appel, lorsque la croissance s’installe durablement, et en terme de départ, lorsque la dépression dure longtemps, sans perspective crédible de « sortie de crise » : de nos jours, c’est le cas en Afrique.

10Les départs ne s’opèrent pas, cependant, de façon uniforme. S’agissant des migrations vers l’Europe, le constat est celui de l’existence d’une espèce de graduation dans les mouvements des personnes, des citoyens des pays les plus pauvres allant d’abord chez le voisin, plus riche, le plus proche. Ainsi est la situation entre le Niger, le Mali, le Tchad d’un côté, et la Libye, de l’autre. Entre les 2 premiers pays et l’Algérie. C’était aussi le cas, jusqu’au milieu des années 1990, entre le Burkina Faso, et dans une moindre mesure le Mali, et la Côte d’Ivoire.

La pauvreté en terme absolu

11Chez les pays africains du sud du Sahara, le motif déterminant de départ (dans les conditions où il s’effectue) serait d’abord la pauvreté extrême. Cela explique l’installation de migrants dans un pays voisin relativement plus riche (Burkinabais en Côte d’Ivoire, avant la crise actuelle dans ce dernier pays ; Nigériens et Maliens au sud de l’Algérie ; Nigériens, Maliens ou Tchadiens en Libye), ou des migrations transfrontalières de courte durée, notamment entre les pays cités ci-dessus. Les estimations disponibles sur ce type de migrations indiquent que, sur 100 000 Africains du sud du Sahara passant en Afrique du Nord chaque année, près de 15 % seulement tentent d’aller jusqu’en Europe [.

12La migration de travail (pour « survivre » ou pour mieux vivre, avec un salaire/revenu plus « décent ») vers un voisin plus riche est justifiée par l’écart significatif de PIB par habitant existant entre pays limitrophes, ou pas très éloignés. Cet écart explique la présence de Maliens, Nigériens ou Tchadiens en Alg